Les plus grands regrets des personnes en fin de vie selon une infirmière en cancérologie

Publié par Elodie Vaz
le 12/09/2024
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Nous vivons tous avec des regrets. Lorsque la mort, cet inévitable passage de la vie, pointe le bout de son nez, les soignants sont les premiers à être confrontés à cette réalité. Gabrielle, infirmière en cancérologie, nous fait part de son vécu de soignante.

Préférez-vous avoir des remords ou des regrets ? Choisir l’audace, l’action et la prise de risque semble plus simple à réaliser sur le papier qu’en réalité. La vie est faite de choix, et choisir veut aussi dire renoncer : abandonner l’idée d’un métier rêvé, d’un voyage tant désiré, d’un amour impossible…

Quand la fin approche, beaucoup voient leur vie défiler et prononcent ces phrases qui sonnent comme des confidences tardives. « J’aurais aimé faire ça… Pourquoi n’ai-je pas osé ? » Ces mots, Gabrielle, infirmière en cancérologie à l’Institut Curie, les entend tous les jours. Elle a accepté de partager les regrets qui reviennent le plus souvent chez ses patients,  non pour attrister, mais pour éclairer nos propres vies. « Les regrets varient selon l’âge des patients », explique-t-elle.

"Les regrets nous offrent en réalité l’opportunité de mieux nous connaître et d’aborder la vie avec une nouvelle perspective"

Dans ce centre de pointe en cancérologie, il n’y a malheureusement pas que les personnes âgées qui se retrouvent confrontées à la mort. Mais chez eux, un regret revient sans cesse : les conflits familiaux non résolus. « Beaucoup me disent qu’ils n’ont pas eu le courage de se réconcilier avec un enfant, parfois depuis des années », raconte Gabrielle. « S’ils avaient exprimé leurs sentiments, ils auraient sans doute vécu plus sereinement. »

Les regrets de la quarantaine : ne pas avoir osé

Chez les patients entre 40 et 60 ans, le refrain change. Ce ne sont plus les relations qu’on regrette, mais les rêves qu’on n’a pas poursuivis. Certains ont consacré toute leur énergie à leur carrière, pensant qu’ils auraient le temps plus tard de profiter de la vie. Puis la maladie est venue tout bouleverser. 

Un rappel brutal de l’importance de l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, qui pousse à reconsidérer nos priorités et à valoriser le temps passé avec des êtres chers plutôt qu’au travail. « Ce que la jeune génération semble avoir mieux compris », note Gabrielle, admirative.

Alors, faut-il préférer les regrets ou les remords ? Le philosophe Charles Pépin y répond joliment. « Les remords utiles nous permettent à la fois de manifester notre conscience morale et notre capacité à retrouver le chemin de l’action, d’arpenter avec, au cœur, ce désir puissant de nous améliorer, de progresser dans notre rapport aux autres et au monde » Mais pour Gabrielle, les regrets aussi ont une vertu : ils nous invitent à agir différemment tant qu’il en est encore temps.

Les rêves étouffés

Les regrets les plus fréquents ? Ceux de ne pas avoir suivi sa passion. « Mon père ne voulait pas que je devienne artiste, j’ai toujours voulu faire de la danse, mais on me disait que c’était trop tard… » Ces phrases, Gabrielle les entend chaque jour. Tant de vies freinées par la peur du regard des autres ou des jugements familiaux. « Quand la santé s’en va, il est souvent trop tard pour se lancer. Je conseille à tout le monde de vivre pleinement sa vie, peu importe ce que pensent vos amis, votre famille, votre employeur. Votre vie vous appartient à vous seul, et le jour où elle décide de s’arrêter, vous serez seul à affronter la mort.. Alors, pourquoi ne pas commencer à vivre maintenant ? »

Autre regret récurrent : les amitiés brisées pour des broutilles. « Je ne parle plus à mon meilleur ami depuis vingt ans, pour une histoire ridicule », confient certains patients. Argent, pouvoir, jalousie… Des motifs dérisoires quand la mort approche. « Tout cela paraît si futile sur un lit d’hôpital. On ne mesure pas le poids de ces querelles tant qu’on est protégé par la jeunesse et la santé », dit Gabrielle.

Les enfants, une leçon de vie

L’allongement de l’espérance de vie reste sans doute l’une des plus grandes réussites de notre système de santé. Pourtant, il existe une fin de vie que notre société peine encore à accepter : celle d’un enfant ou d’un adolescent. « C’est une épreuve bouleversante, même pour nous, soignants. »

« J’ai travaillé cinq ans auprès d’enfants malades. Et étonnamment, j’ai rarement entendu de regrets de leur part. Un enfant ne se projette ni dans l’avenir ni dans le passé, il vit l’instant présent. C’est sûrement le plus important à retenir selon moi : faire ce qui nous fait du bien au moment présent, peu importe ce que l’autre pensera. » Parce qu’au fond, il vaut mieux des remords d’avoir essayé que des regrets de ne pas avoir osé.

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Interview avec Gabrielle, infirmière en cancérologie

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-question-philo/la-question-philo-du-samedi-16-decembre-2023-2488069

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