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Au début de l’épidémie de coronavirus, le gouvernement français ne cessait de répéter que les masques n’étaient pas utiles, à moins de travailler au contact de malades, ou d’avoir soi-même les symptômes du Covid-19. Depuis, l'État a opéré une véritable volte-face puisque le port du masque est maintenant largement recommandé pour tous dans l’espace public. N’importe qui peut, en effet, être un porteur du virus sans le savoir, et donc le propager.

Or, la France aurait continué à détruire ses stocks de masques pendant la crise sanitaire… Alors même que certains auraient pu être utilisé. C’est ce que révèle une enquête réalisée par le journal Le Monde, publiée le 7 mai. 363 millions de masques voués à la destruction ont été découverts dans un hangar en mars, dont au moins 85 millions étaient en bon état, et tout à fait utilisables.

Une découverte qui a suscité une vague d’indignation, dans la mesure où les soignants, comme les malades et les personnes fragiles, ont largement manqué de masques durant les premiers mois de l’épidémie. En apprenant, fin mars, la destruction massive de masques alors en cours, le gouvernement aurait donné l’ordre de tout stopper. Mais le mal était déjà fait, et l'État aurait même sa part de responsabilité dans la fonte massive des stocks.

Pourquoi n’avions-nous pas plus de masques au début de la crise ?

Début 2017, soit quelques mois après le départ de Marisol Touraine du ministère de la Santé, les réserves étatiques contenaient encore 714 millions de masques chirurgicaux. Parmi eux, 616 millions ont été acquis entre 2005 et 2006 (“mais sans date de péremption”, précise Le Monde), et le reste, plus récent, entre 2014 et 2016. À peine trois ans plus tard, en mars 2020, il ne reste que 117 millions de masques chirurgicaux dans l’Hexagone, et aucun masque FFP2.

Les stocks de masques ont été divisés par six en trois ans

C’est en tout cas ce qu’a annoncé le ministre de la Santé Olivier Véran, lors de sa prise de fonction au mois de mars. Lorsqu’on sait que le pays consomme 40 millions de masques par semaine en période d’épidémie, on comprend vite que cette réserve est insuffisante.

La division des stocks par six suscite l’interrogation ; des investigations internes ont d’ailleurs été réclamées à la direction générale de la Santé. Interrogés par Le Monde, la DGS et le ministère n’ont pas souhaité répondre. De son côté, Geneviève Chêne, directrice de Santé publique France, rappelle à nos confrères qu’elle n’est arrivée qu’en novembre 2019, et qu’une “partie [des masques] a été détruite entre 2017 et 2019”.

600 millions de masques déclarés “périmés et non-fonctionnels”

Selon François Bourdillon, à qui elle a succédé, la DGS aurait demandé en 2017 de “lancer un programme de contrôle de la qualité et de l’efficacité des 616 millions de masques acquis en 2005-2006”. Après la réalisation d’une batterie de tests par une entreprise belge, cette dernière aurait conclu à leur non-conformité. Déclarés “périmés et non-fonctionnels”, ces masques ont donc été détruits en grande majorité.

De nombreux masques brûlés auraient pu être utilisés

De nombreux masques brûlés auraient pu être utilisés© Istock

Selon Benoît Vallet, directeur général de la Santé d’octobre 2013 à janvier 2018, une partie de ces masques, qui ne portaient pas de date de péremption, aurait pu être mise en circulation.

“À partir de 2010, les fabricants ont pris la précaution d’indiquer une date de péremption, souvent de cinq ans, mais il n’y a pas d’obligation réglementaire”, rapporte-t-il à nos confrères du Monde. “Ces masques peuvent être utilisés même quand ils sont anciens, ils conservent leurs propriétés. Je n’ai jamais vu le résultat de l’expertise rentrée en 2018 puisque j’avais quitté la DGS, mais je sais qu’elle ne pouvait pas vraiment donner d’avis”.

Une expertise confirme le possible emploi de ces masques

L’ex-directeur général de la Santé ajoute qu’une partie des masques qui n’avaient pas encore été détruits viennent d’être ré-expertisés par l’ANSM et la DGA, pour vérifier leur qualité de filtration et l’éventuelle contamination par des germes. “Les informations que j’ai eues, c’est que les tests sont revenus de façon favorable, ce qui va d’ailleurs permettre de les utiliser dans les prochaines semaines”.

Une autre source a néanmoins confié au Monde “qu’au moins une partie du stock initial était inopérante car rongée par l’humidité”.

Pourquoi les stocks n’ont-ils pas été reconstitués ?

Pourquoi les stocks n’ont-ils pas été reconstitués ?© Istock

Toujours selon Benoît Vallet, l'État devrait posséder une réserve d’au moins un milliard de masques, pour être prêt en cas de pandémie comme celle que nous vivons actuellement. Il estime donc que même si les masques de 2005-2006 étaient effectivement non-conformes et devaient être détruits, il aurait fallu, “à titre de précaution, reconstituer les stocks stratégiques”.

Alors pourquoi cela n’a-t-il pas été fait ? Pour François Bourdillon, l’ex-directeur de Santé Publique France, tout simplement parce que l'État a longtemps estimé que les masques chirurgicaux n’étaient d’aucune utilité pour le grand public. Il affirme avoir milité, en vain, pour la reconstitution des réserves, mais ne pas avoir eu le budget nécessaire. Quant aux masques FFP2, leur gestion est confiée aux employeurs depuis 2013.

Le HCSP préconise un stock de 1 milliard de masques

D’après un avis rendu en mai 2019 par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), sur les mesures à prendre en cas de pandémie grippale, la constitution d’un stock de masque n’est pourtant pas une dépense inutile, mais plutôt une sorte d’assurance “que l’on souhaite, malgré la dépense, ne jamais avoir besoin d’utiliser”. Ce rapport estime qu’en cas de pandémie, il faudrait “une boîte de 50 masques par foyer, à raison de 20 millions de boîtes en cas d’atteinte de 30 % de la population”.

Une commande a bien été passée en 2019, mais seulement de 100 millions de masques : nous sommes donc bien loin du milliard de réserve préconisé.

85 millions de masques sauvés de la destruction

85 millions de masques sauvés de la destruction© Istock

Malgré les recommandations du Haut Conseil de la santé publique, les autorités sanitaires ont continué à éditer des bons de destruction, sans remplacer les masques éliminés. En résulte la pénurie que nous connaissons désormais, que l'État aurait découverte sur le tard.

Lors de sa conférence de presse du 7 mai, le Premier ministre Edouard Philippe a reconnu qu’un stock de 360 millions de masques chirurgicaux “périmés” et voués à la destruction avaient été découvert au début de l’année. 85 millions d’entre eux ont pu être conservés.

1,5 million de masques chirurgicaux ont été brûlés entre janvier et mars

Selon une enquête de BFMTV, publiée le 13 mai, ces réserves étaient entreposées “dans un hangar secret du département de la Marne”. Les objets en question avaient été jugés trop vieux ou de qualité altérée, sans que leur état ait vraiment été vérifié. Entre janvier et mars, un million et demi d’entre eux sont donc brûlés.

Le 25 mars 2020, soit presque deux semaines après le début du confinement, le gouvernement apprend l’existence de ce stock… littéralement brûlé à petit feu. Le ministère de la Santé pensait, en effet, que tous les masques avaient déjà été détruits, et ignorait qu’il en restait encore.

Immédiatement, il ordonne l’arrêt de sa destruction ainsi qu’un état des lieux, dont le verdict est rendu le 20 avril. Résultat : 85 millions de ces masques sont encore en parfait état d’usage, et pourront être utilisés par le grand public.

Sources

2017-2020 : comment la France a continué à détruire son stock de masques après le début de l’épidémie, Le Monde, 7 mai 2020. 

Coronavirus: un stock d'un million et demi de masques chirurgicaux détruit en pleine épidémie, BFMTV, 13 mai 2020. 

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