Virus transmis par les moustiques : pourquoi faut-il rester vigilant, même en hiver ? 

Publié par Sandrine Coucke-Haddad
le 11/12/2025
danger moustique
Istock
INTERVIEW. Alors que Santé publique France a publié ce lundi 8 décembre un rapport indiquant que la moitié de la population de La Réunion a été contaminée par le chikungunya cette année, nous avons interrogé une médecin biologiste pour mieux comprendre les enjeux de ces “nouvelles” maladies, dont il faut se méfier même en hiver. 

 

MEDISITE : On note une recrudescence de cas de dengue et de chikungunya en France ces dernières années, pourquoi est-ce inquiétant ? 

Dre Françoise Gay-Andrieu, médecin biologiste et Responsable médicale chez Roche Diagnostics France : Ce sont des maladies que l’on dit réémergentes à l’échelle mondiale : elles ne sont pas nouvelles car elles existent depuis longtemps dans les zones tropicales. En revanche,  on peut les considérer comme émergentes en France métropolitaine car on a une augmentation importante ces dernières années, soit des cas importés soit des cas autochtones. C’est ce qui est le plus inquiétant.

 

Comment l'expliquer ?  

Dre Françoise Gay-Andrieu : L’augmentation des cas importés s’explique notamment parce que ces maladies sont très présentes dans les zones tropicales. Avec des chiffres extrêmement élevés, pour ce qui concerne la dengue par exemple, c’est pratiquement la moitié de la population mondiale qui vit dans une zone d’exposition. L’OMS estime qu’il y a entre 100 et 400 millions de cas chaque année, et ce ne sont que des estimations ! On peut donc avoir un très grand nombre de voyageurs qui se contaminent dans les zones endémiques et rentrent en France malades, ou tout au moins infectés (mais parfois sans signes cliniques, ou avec des symptômes non spécifiques). Les cas autochtones concernent des personnes qui tombent malades en France métropolitaine sans avoir quitté le territoire. Ca c’est très nouveau.

Ces cas sont surtout dus à l'arrivée d’un nouveau vecteur de la maladie, qui a colonisé l’ensemble du territoire métropolitain aujourd’hui : le moustique tigre, une espèce qui n’était pas présente il y a 20-25 ans. Ce qui fait qu’il y a deux facteurs concomitants qui peuvent expliquer l'explosion des cas : plus de cas importés par les voyageurs, mais aussi une circulation du virus renforcée à cause du moustique tigre. A cela s’ajoute un troisième élément qui joue probablement un rôle de plus en plus important, c’est le réchauffement climatique. 

 

Quel rôle joue le réchauffement climatique dans l’explosion des cas en France ? 

Dre Françoise Gay-Andrieu : A cause de l’élévation des températures, les moustiques ont une période de transmission plus longue sur l’année. Pour le chikungunya par exemple, la température optimale de transmission, c’est 26 à 30 °C, des températures que l’on atteint plus souvent et dans de nombreuses régions en France maintenant. Cela explique les foyers autochtones que l’on a connus cet été, presque 800 cas cette année. C’est un record historique. 

 

A quoi faut-il s'attendre pour les prochaines années ?

Dre Françoise Gay-Andrieu : Il y a des risques de petites épidémies de cas autochtones. Avec des foyers de plus en plus nombreux et de plus en plus gros. L’incertitude qui demeure est sur la taille, l’ampleur des ces épidémies. 

Il faut savoir que pour la dengue, nous sommes déjà dans une situation où la pression est constante, car la masse de cas est assez phénoménale dans les zones tropicales. Pour le chikungunya, ce qui est un peu plus inquiétant, c’est qu’il y a une très bonne adéquation entre le virus et le moustique tigre, doté d’une bonne capacité à transmettre la maladie. Même si aujourd’hui nos hivers nous protègent encore, car en dessous de 10 à 15 °C, le moustique tigre n’est plus capable de transmettre le virus, les conditions sont réunies pour que l’épidémie progresse, c’est certain. 

 

Pourquoi un diagnostic rapide est-il essentiel ?

Dre Françoise Gay-Andrieu : Poser un diagnostic rapidement est essentiel pour le malade mais aussi pour la lutte contre ces maladies au sens large. Pour le malade, c’est important pour la prise en charge, même s'il n’existe pas de traitement antiviral, car on peut soulager les symptômes et surtout surveiller l'évolution. 

Au sens plus large, identifier les cas c’est éviter d’autres contaminations, par exemple en isolant le malade sous une moustiquaire afin qu’il ne transmette pas le virus à des moustiques non infectés, ou en procédant à des démoustications. C’est une affaire de quelques jours seulement avant que le moustique puisse transmettre la maladie et la diffusion peut se faire à bas bruit à cause des cas asymptomatiques, qui forcément ne vont pas être dépistés. 

De plus, quand il y a des signes cliniques, ce sont souvent des signes non spécifiques, comme de la fièvre, des maux de tête, des douleurs articulaires : rien qui puisse affirmer que c’est le chikungunya ou la dengue. En revanche, une simple prise de sang permet de détecter le virus, que l’on parle de chikungunya ou de dengue, ou même d’autres arbovirus comme le virus du Nil Occidental ou le virus Zika. 

 

Ces deux maladies sont-elles graves ? 

Dre Françoise Gay-Andrieu : Pour le chikungunya, les cas graves sont exceptionnels, et ne concernent que des personnes très fragiles. En revanche, le risque de séquelle articulaire est bien réel, avec parfois des douleurs articulaires chroniques très invalidantes pour les patients. 

Pour la dengue, même si la majorité des personnes n’ont pas de symptômes ou simplement ceux d’une grippe, il y peut y avoir plus rarement des cas graves voire, de manière exceptionnelle, des cas mortels. 

 

Quels signes doivent alerter ? 

Dre Françoise Gay-Andrieu : La dengue sévère peut mener à une défaillance circulatoire, que l’on appelle un choc, qui lui-même peut entraîner une sorte de défaillance d’organes nécessitant une hospitalisation en réanimation. Après un épisode de forte fièvre, le patient peut présenter des maux de tête très importants, des vomissements, des douleurs abdominales qui vont entraîner une forte déshydratation. 

Il faut donc rester vigilant, même en hiver, notamment quand on revient de voyage. Car on peut facilement passer à côté du bon diagnostic et penser à la grippe. Il faut rappeler qu’il est impératif, lorsqu’on est malade au retour d’un voyage en zone tropicale, de signaler ce voyage à son médecin. La France est en surveillance renforcée de mai à novembre, mais le risque ne disparaît pas après.

Afficher les sources de cet article

Interview avec la Dre Françoise Gay-Andrieu, médecin biologiste et Responsable médicale chez Roche Diagnostics France. 

Google News Voir les commentaires