
- 1 - Quel est le lien entre les chats et ce parasite mystérieux ?
- 2 - L’infection par T. gondii est-elle associée à la schizophrénie ?
- 3 - Est-ce que d’autres recherches viennent nuancer cette hypothèse ?
- 4 - Faut-il éviter les chats pour se protéger de ce parasite ?
- 5 - Peut-on parler d’un “chat vecteur de schizophrénie” ?
C’est une idée qui intrigue, inquiète ou fait sourire selon les sensibilités : vivre avec un chat pourrait-il augmenter le risque de développer une maladie mentale, en particulier la schizophrénie ? La question, loin d’être nouvelle, vient de refaire surface dans les médias après la publication d’une vaste analyse d’études scientifiques. En cause : un parasite, Toxoplasma gondii, que l’on retrouve parfois chez les félins, et dont l’influence sur le cerveau humain fascine autant qu’elle divise la communauté scientifique.
Mais entre hypothèses biologiques, corrélations statistiques et exagérations médiatiques, où se situe vraiment la vérité ? Peut-on sérieusement envisager que le chat, compagnon domestique de millions de foyers, soit un facteur de risque psychiatrique ? On fait le point.
Quel est le lien entre les chats et ce parasite mystérieux ?
Le chat domestique est l’hôte définitif d’un parasite microscopique nommé Toxoplasma gondii. Celui-ci se reproduit dans ses intestins et est excrété via ses selles, sous forme de kystes pouvant contaminer l’environnement. Une fois libérés, ces kystes survivent longtemps dans la terre, l’eau, les fruits, les légumes mal lavés ou la viande crue. Les humains s’infectent donc le plus souvent en mangeant des aliments contaminés ou en jardinant sans gants, bien plus rarement par contact direct avec leur animal de compagnie.
Des recherches sur des rongeurs ont montré que Toxoplasma gondii pouvait modifier leur comportement de manière surprenante. Une étude importante publiée en 2000 dans Proceedings of the Royal Society B, une revue scientifique reconnue en biologie, a démontré que des rats infectés perdaient leur peur naturelle de l’odeur de l’urine de chat. Menée par les chercheurs Berdoy, Webster et Macdonald, cette étude a même révélé que certains mâles semblaient attirés par cette odeur. Ce changement, appelé « fatal attraction », est une stratégie du parasite pour augmenter ses chances de revenir dans l’organisme du cha t, son hôte principal.
L’infection par T. gondii est-elle associée à la schizophrénie ?
C’est ce que suggèrent plusieurs études, dont une méta-analyse très commentée publiée en février 2024 dans Schizophrenia Bulletin. Cette revue a regroupé les données de 17 études menées entre 1970 et 2020, incluant plus de 200 000 personnes à travers 11 pays. Le constat de cette analyse : les enfants ayant grandi avec un chat auraient un risque plus que doublé de développer une schizophrénie à l’âge adulte.
Un chiffre frappant, qui mérite cependant d’être replacé dans son contexte. Les chercheurs eux-mêmes insistent sur les limites méthodologiques de ces travaux. La majorité des données reposent sur des questionnaires rétrospectifs, qui ne permettent pas de déterminer si les participants ont réellement été exposés au parasite, ni à quel moment. Avoir eu un chat dans son entourage ne signifie pas nécessairement avoir contracté la toxoplasmose.
D’autre part, ces études ne contrôlent pas toujours d’autres variables clés : contexte socio-économique, génétique, environnement global, ou sources alimentaires de contamination. Le lien statistique observé est donc insuffisant pour conclure à une relation de cause à effet entre la possession d’un chat et une pathologie aussi complexe que la schizophrénie.
Est-ce que d’autres recherches viennent nuancer cette hypothèse ?
Une vaste étude britannique parue en 2017 dans Psychological Medicine, basée sur les données de plus de 5000 enfants suivis dès la naissance, n’a trouvé aucune preuve significative d’un lien entre la présence de chats à la maison et le développement ultérieur de symptômes psychotiques. Elle souligne au contraire l’absence de corrélation fiable et rappelle que les peurs collectives liées aux animaux domestiques peuvent reposer sur des intuitions erronées plutôt que sur des données probantes.
Ce contraste entre études alimente un consensus grandissant chez les chercheurs : pour avancer sur ce sujet, il faudra des recherches plus robustes, idéalement longitudinales, qui s’appuient sur des tests sanguins confirmant la présence de T. gondii, et non sur de simples déclarations ou souvenirs.
Il est aussi utile de rappeler que les chats d’intérieur, nourris avec des croquettes ou de la pâtée et ne chassant pas, ont très peu de risque d’être porteurs du parasite.
Faut-il éviter les chats pour se protéger de ce parasite ?
Certainement pas. Le parasite T. gondii est très répandu dans le monde : on estime qu’un tiers de la population mondiale est porteuse, la plupart sans le savoir, et sans jamais présenter de troubles mentaux. La schizophrénie, elle, touche environ 1 % des individus, ce qui montre bien que d’autres facteurs jouent un rôle majeur : génétiques, neurodéveloppementaux, sociaux ou liés à des événements traumatiques.
Il est aussi utile de rappeler que les chats d’intérieur, nourris avec des croquettes ou de la pâtée et ne chassant pas, ont très peu de risque d’être porteurs du parasite. Les gestes d’hygiène élémentaires, comme se laver les mains après avoir changé la litière ou éviter de manipuler de la viande crue sans précaution, permettent de réduire encore davantage les probabilités d’exposition.
Peut-on parler d’un “chat vecteur de schizophrénie” ?
Non, et le risque serait même de tomber dans un biais inverse : celui de diaboliser un animal qui, pour des millions de personnes, représente une source de réconfort, de stabilité et de lien affectif. Le chat ne doit pas devenir le bouc émissaire d’un débat scientifique encore en construction. En matière de santé mentale, les raccourcis sont dangereux, car ils détournent l’attention des vrais enjeux : accès aux soins, prévention des troubles, lutte contre l’isolement ou les facteurs de stress chronique.
En l’état actuel des connaissances, il serait scientifiquement inexact et éthiquement problématique de désigner le chat comme un facteur de risque psychiatrique. Ce que nous disent les études, c’est qu’il existe une hypothèse à explorer. Rien de plus. Elle mérite des recherches sérieuses, rigoureuses, mais ne justifie en aucun cas l’inquiétude ni encore moins l’abandon de nos compagnons à moustaches.