
Un état de fatigue extrême, une batterie totalement déchargée, un brouillard mental, et un sommeil inefficace : voilà le quotidien de personnes souffrant d’encéphalomyélite myalgique, plus connue sous le nom de syndrome de fatigue chronique. "L’épuisement peut nous mettre en mode survie. Parfois, certains malades en état sévère doivent rester allongés 20 heures sur 24", témoigne Isabelle Fornasieri, vice-présidente de l’Association française du syndrome de fatigue chronique (ASFC).
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Covid long : la fatigue a une cause physiqueComme Isabelle, en France, ils seraient environ 150 000 à 300 000 personnes concernées. Malgré un chiffre conséquent, la maladie n’a toujours pas suscité de plan de prise en charge spécifique de la part des autorités, laissant les patients seuls face à leurs symptômes.
Dans 80 % des cas, ce syndrome apparait à la suite d’une infection. Il se caractérise par une fatigue intense, l’apparition de troubles gastro-intestinaux, de douleurs musculaires et de difficultés cognitives, notamment des migraines, une perte de concentration, et un brouillard cérébral. "Il y a deux critères importants pour diagnostiquer la maladie : un épuisement et une exacerbation post-effort", explique Isabelle Fornasieri.
"Beaucoup de malades nous disent qu’ils préféreraient avoir un cancer à la place. Au moins, ils auraient un traitement, une prise en charge et une considération"
La multiplication des malaises post-effort peut entraîner une progression de la maladie jusqu’à des formes plus graves. "On a plus aucune force, on ne peut plus bouger, ni parler. Ça peut arriver très brutalement. C’est comme lorsque notre téléphone nous annonce 30 % de batterie et que, d’un coup net, il s’éteint", livre Isabelle Fornasieri. Le seul moyen de stabiliser son état, c’est de pratiquer ce qu’on appelle le pacing : minuter ses activités et les fractionner par du repos, afin de ne jamais dépasser ses limites. "Certains vont vers la rémission avec une hygiène de vie drastique et un environnement favorable. Mais ils sont très rare et la maladie ne laisse pas de place à l’imprévu", ajoute-t-elle.
Le "syndrome de fatigue chronique" : une maladie connue depuis les années 50
C’est après l’arrivée du Covid que cette pathologie est très médiatisée. Mais son existance est bien plus ancienne. "Elle est décrite pour la première fois dans les années 50 et elle a tout du statut des maladies rares : une grande difficulté d’accès à un diagnostic et à une prise en charge adaptée", déplore la présidente de l’association. "Beaucoup de malades nous disent qu’ils préféreraient avoir un cancer à la place. Au moins, ils auraient un traitement, une prise en charge et une considération", raconte-t-elle.
Aucun traitement disponible
Malgré ces symptômes spécifiques, son fonctionnement reste un mystère pour les scientifiques, et il n’existe aucun traitement curatif à ce jour. "En 2020, notre association a écrit à la Haute Autorité de santé pour l'avertir que le virus du Covid risquait de déclencher de nombreux cas de EM/SFC (syndrome de fatigue chronique, NDLR). Nous avions des recommandations qui auraient pu aider les patients, notamment éviter le réentraînement à l’effort. Mais c’est resté sans suite", s’indigne la vice-présidente de l’association.
Résultat : des patients démunis, sans réponse à leur souffrance, voire aggravés par des prises en charge inadaptées. "Depuis trois ans, on a des malades qui nous appellent en masse. Environ un appel sur deux est un Covid long", constate Isabelle Fornasieri.
Des médecins non formés à la maladie
Aujourd’hui, l’ASFC souhaite que cette pathologie soit incluse dans le programme des étudiants en médecine. "Comment voulez-vous que les patients soient compris si même les médecins ne sont pas formés ? C’est impossible", souligne Isabelle Fornasieri.
"Une fois qu’on écarte les grandes pathologies qui entraînent une extrême fatigue et des douleurs, comme l’hyperthyroïdie, les maladies cardiaques ou les cancers, il ne nous reste qu’une explication : la dépression", admet sur France 3 le Dr Brigitte Elkaïm, médecin généraliste à Paris.
Son fils, présentant les mêmes symptômes, l’a poussée à s’y intéresser de plus près. "En tant que médecin, j’étais complètement démunie de voir mon fils sombrer sans pouvoir l’aider", confie Brigitte Elkaïm. "Et pourtant, je le connais, donc j’étais convaincue que ce n’était pas dans sa tête. C’est en allant chercher des études anglaises sur Google que je me suis renseignée et formée toute seule."
Le probléme, c'est qu'il faut dix ans minimum pour former un médecin, un temps dont ne disposent pas les patients en souffrance. "Nous demandons un programme de formation continue pour les médecins diplômés. Nous avons produit des ressources grâce au Groupe de Travail national sur les Fatigues, une plateforme avec des vidéos va être lancée, c’est à disposition pour améliorer l’apprentissage des professionnels de santé", précise Isabelle.
Mais la mise à jour des connaissances médicales n’est pas la seule solution, selon Isabelle Fornasieri. Avant de prendre soin des malades, il faut prendre soin des médecins. "Ils sont en sous-effectif et sous l’eau. "Cette surcharge de travail impacte la relation avec les patients, il y a parfois de la maltraitance, surtout quand le médecin ne connaît pas la maladie, et se retrouve démuni". On doit améliorer leurs conditions de travail pour favoriser l’humain et l’écoute."
Une recherche absente
Sa dernière attente cible la recherche. "Le problème aujourd’hui, c’est que chaque spécialité médicale fonctionne de façon isolée. Un infectiologue n’est pas immunologue. Il faut décloisonner la recherche pour trouver des solutions à ce syndrome. La seule façon, c’est de financer des programmes transversaux et qui impliquent les patients. Mais actuellement, faire du transversal, c’est difficile pour mener une carrière. Il n’y a pas de poste pour les chercheurs. Résultat : la recherche sur le Covid Long reproduit les mêmes impasses déjà connues pour l’EM/SFC."
Isabelle Fornasieri estime aujourd’hui que 90 % des patients sont concernés par une errance médicale. "Une loi sur le Covid long a été votée en janvier 2022 pour améliorer la prise en charge." En 2025, elle n’est toujours pas appliquée.
Interview avec Isabelle Fornasieri, présidente de l’Association française du syndrome de fatigue chronique (ASFC).