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Les maladies cardiovasculaires affichent un triste record en cette année 2024. Première cause de mortalité chez la femme en France, un décès toutes les 7 minutes et un retard de prise en charge de 30 minutes par rapport à l’homme. Elles dépassent de loin la mortalité du cancer du sein. À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes et suite à l’alerte lancée par l’Académie de médecine dans un rapport publié le 24 février 2025, le Pr Martine Gilard, administratrice de la Fondation Cœur et Recherche, membre de l'Académie Nationale de Médecine et de la Société européenne de cardiologie, formule des recommandations pour corriger cette inégalité de genre et améliorer la prévention dans une interview pour Medisite.

Medisite : Comment expliquez-vous une hausse des infarctus chez la femme jeune, avec un pronostic souvent plus grave que chez l’homme ?

Pr Martine Gilard : Pour le même niveau de facteurs de risque, la femme va mourir plus qu’un homme, et on n’a pas réellement d’explication à ce jour. Des études sont nécessaires, mais on peut penser que cette augmentation est liée à des facteurs de risque tels que le tabac, l’alcool, l’obésité. Il est important également de rechercher des facteurs de risque spécifiques que sont les complications lors de la grossesse, les ovaires polykystiques et l’endométriose… Mais ce n’est pas tout. Le problème, c’est qu’une fois que la femme jeune fait un infarctus, elle tarde à appeler les secours, ce qui engendre un retard de prise en charge de 30 minutes par rapport à l’homme. Il faut savoir qu’une femme, depuis l’adolescence, est habituée à ressentir des douleurs, donc elle est moins en alerte, ce qui n’est pas le cas des hommes. Les médecins ne pensent pas forcément de suite à l’infarctus, ce qui rallonge le temps de prise en charge par les services d’urgences.

Pourquoi pense-t-on encore aujourd’hui que l’infarctus est une maladie d’homme ?

MG : Parce que c’est le cas. Les chiffres montrent 75 % d’hommes et 25 % de femmes. Avant la ménopause, la femme est protégée par son système hormonal. Mais ce qui est important, c’est qu’il y a 25 % de femmes concernées, et il est essentiel de les prendre en compte.

Les symptômes d’un infarctus chez la femme sont-ils différents de ceux de l’homme ?

MG : C’est faux. Il faut arrêter de dire que les symptômes sont différents. Dans 92 % des cas, la femme présente les mêmes symptômes que l’homme, à savoir des douleurs thoraciques irradiant dans le bras ou la mâchoire, une sensation d’oppression, d’anxiété et un essoufflement. Le problème, c’est que vu qu’on lui dit depuis son plus jeune âge qu’elle va ressentir des douleurs qui ne sont pas graves, elle ne décrit pas la douleur en premier. Conséquence : aujourd’hui, on voit des femmes qui ont mal à la poitrine et qui ne se déplacent pas aux urgences, pensant que ce n'est pas un symptôme typique. Il faut vraiment arrêter avec cette croyance.

Les femmes et les hommes sont-ils égaux face aux facteurs de risque ?

MG : Les facteurs de risque n’ont pas les mêmes répercussions selon le sexe. Si une femme présente une hypertension artérielle équivalente à celle d’un homme, elle y sera plus sensible. La ménopause précoce, le syndrome des ovaires polykystiques et l’endométriose augmentent de deux à trois fois le risque d’infarctus. C’est pour cela qu’il est important, en cas de facteurs de risques, d’en parler à son médecin généraliste pour accentuer la surveillance (prise de tension artérielle, surveillance des marqueurs sur une prise de sang…). Il faut que la population soit informée. De même, à l’approche de la ménopause, il est recommandé de faire un bilan cardiaque, car la femme perd sa protection hormonale.

Ces particularités liées au genre sont-elles abordées en faculté de médecine ?

MG : En médecine, ces particularités sont peu abordées, malheureusement. Comme c'est une maladie essentiellement masculine, il est plus facile d'apprendre aux étudiants les spécificités des hommes. Aujourd’hui, en première année de médecine, il y a 70 % de femmes, mais peu d'entre elles deviennent professeures. Il faudrait plus de femmes pour corriger ces inégalités dans l’apprentissage. L’éducation médicale doit évoluer, c’est un fait, mais l’éducation de la population aussi.

Seul 1 % des investissements dans la recherche sont consacrés spécifiquement aux maladies féminines. Comment expliquer un chiffre si bas ?

MG : Pour comprendre, il faut remonter aux années 1960. À cette époque, des essais cliniques sur un médicament ayant un effet tératogène (pouvant endommager le fœtus) ont été réalisés. Cela a entrainé la nécessité, pour ne pas mettre les femmes en danger, de réaliser des tests de grossesse régulièrement lorsqu’une femme non ménopausée est inclue dans les études de médicaments. Conséquence : moins de femmes que d’hommes y participent. Or, elles ne sont pas identiques, notamment sur le plan hormonal. Les doses efficaces ne sont pas les mêmes d’un sexe à l’autre, ce qui pose problème, notamment en cardiologie. Les femmes ont le bon médicament, mais elles vont le stopper plus facilement à cause des effets indésirables, plus importants chez elles que chez les hommes. Même les prémices de ces recherches sur les médicaments se font souvent sur des animaux de laboratoires, males eux aussi, les femelles ne sont pas incluses pour éviter l'interférence des hormones.

L’autre problème, c’est que les personnes qui conduisent les recherches sont majoritairement des hommes. Cela commence à changer, mais tant qu'il y aura une disparité dans les études et dans la recherche, il faudra du temps avant que les traitements soient adaptés aussi bien aux femmes qu’aux hommes.

Sources

Interview avec le Pr Martine Gilard, administratrice de la Fondation Cœur et Recherche, membre de l'Académie nationale de médecine de France et de la Société européenne de cardiologie.