
Les mots lui manquaient depuis de nombreuses années. Mais grâce à l’intelligence artificielle, Ann, originaire du Canada, retrouve l’usage de la parole après 18 ans passés sous silence. D’après la revue scientifique Nature, la jeune femme avait été victime d’un accident vasculaire cérébral à l'âge de 30 ans. Un drame qui l’a rendue tétraplégique, avec comme conséquence l’impossibilité de s’exprimer verbalement.
À cette époque, Ann était professeure de mathématiques dans un lycée canadien, maman d’une petite fille de 13 mois à peine et belle-mère d’un enfant de 8 ans. Deux âges où les paroles d’une maman sont primordiales. « Du jour au lendemain, tout m’a été enlevé », raconte-t-elle dans l’article Nature et retranscrit par Le Figaro Santé.
Une équipe de chercheurs des universités de Berkeley et de San Francisco a souhaité rendre la parole à cette ancienne enseignante, âgée aujourd’hui de 47 ans. Un souhait devenu réalité grâce à une neuroprothèse couplée à l’IA. L’implant permet de capter directement les intentions de parole dans le cerveau d’Ann afin de traduire ses signaux neuronaux en mots articulés.
Une première interface trop longue
Au départ, les chercheurs avaient utilisé une interface cerveau-ordinateur pour décoder les pensées d’Ann, mais l’opération demandait un délai de 8 secondes entre le moment où la mère de famille pensait et celui où elle s’exprimait. Ce type d’implant fonctionne de la même manière qu’une conversation WhatsApp, explique le Dr Christian Herff, chercheur en neurosciences computationnelles à l’université de Maastricht, qui n’a pas participé à l’étude. « Vous écrivez un message, votre interlocuteur répond, et il faut encore un peu de temps pour lui répondre à votre tour », explique-t-il dans la revue Nature. Comme dans le réseau social, chaque réponse doit être écrite avant d’être envoyée. Rien de comparable avec une conversation normale.
« Même si nous sommes encore loin d’atteindre ce but pour Ann, cette étape devrait nous permettre à terme d’améliorer considérablement la qualité de vie des individus victimes de paralysie vocale »
« Il est difficile pour ceux qui sont privés de la parole à cause d’une paralysie de participer à un dialogue constructif, ce qui peut être à l’origine d’un sentiment d’isolement et de frustration. Pour raccourcir le temps de latence, une bonne neuroprothèse pour le langage devrait fabriquer du langage en continu à partir des données neuronales simultanément. »
Un temps réduit à 80 millisecondes avec la nouvelle version de l’interface
« Notre nouvelle méthode de diffusion en continu convertit les signaux cérébraux en voix personnalisée en temps réel, dans la seconde suivant son intention de parler », a expliqué à l'AFP la principale autrice de l'étude, Gopala Anumanchipalli, de l’université de Californie. Cette prouesse est possible grâce à un nouveau dispositif placé dans le cortex cérébral. Ce patch, composé de 253 électrodes, inséré lors d’une intervention chirurgicale, enregistre directement l’activité des neurones.
Des phrases ont été ensuite montrées à Ann sur un écran. Elle devait les prononcer dans sa tête. L’enchaînement de mots était ensuite converti avec sa propre voix, grâce à des enregistrements pris lors de son mariage. « L’interface intercepte le signal dans le cerveau après avoir décidé ce qu'on veut dire, après avoir choisi quels mots utiliser et comment mouvoir les muscles du conduit vocal », a expliqué le chercheur.
Les limites du dispositif
Cependant, le vocabulaire reste encore limité à 1 024 mots pour l’instant. Cette recherche est encore au stade de « preuve de principe très précoce », a estimé auprès de l’AFP un professeur en neuroprothèse, Patrick Degenaar, de l’université britannique de Newcastle, qui n’a pas participé à l’étude.
Aujourd’hui, Ann souhaite se reconvertir en conseillère d’orientation universitaire. « Même si nous sommes encore loin d’atteindre ce but pour Ann, cette étape devrait nous permettre à terme d’améliorer considérablement la qualité de vie des individus victimes de paralysie vocale », exprime le scientifique à l’AFP.
Mais pour la jeune femme, cet échange simple reste une victoire. « Elle était enthousiaste d’entendre sa voix et avait le sentiment qu’elle était ainsi incarnée », rapporte la Dre Gopala Anumanchipalli.