Patricia et Loetitia : “Ma conjointe a été ma donneuse d'organe, et m’a sauvé la vie” Istock
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Après 20 ans de vie commune, c’est la routine ? Pas pour Patricia et Loetitia. Les deux femmes, se connaissant depuis 23 ans et mariées depuis 11 ans ont connu un événement médical marquant, donnant une nouvelle profondeur à leur relation. Elles nous racontent.

Le diagnostic de Loetitia : une polychystone hépato-rénale héréditaire

Du point de vue de Loetitia (receveuse) :

Je suis atteinte de polychistose hépato-rénale héréditaire (trouble héréditaire caractérisé par la formation de kystes rénaux entraînant une hypertrophie progressive des deux reins et pouvant évoluer vers l'insuffisance rénale, NDLR). La maladie est restée stable au niveau du foie, mais ce sont les reins qui ont été le plus touchés.

J’ai été diagnostiquée par hasard à l’âge de 18 ans, lors d’une crise infectieuse de kyste. À l’époque, l’annonce avait été assez violente. J’avais reçu peu d’informations sur la maladie, bien qu’elle soit présente dans ma famille. Je ne pensais ni à la dialyse ni à la greffe car, bien que certains membres de mon entourage soient concernés, personne dans ma famille n’avait eu à subir cela : leur maladie était restée relativement silencieuse et peu évolutive.

Pendant plus de 20 ans, j’ai fait des contrôles annuels sans que la maladie n’évolue. Je vivais normalement, la maladie ne faisait pas vraiment partie de ma vie, j’étais même un peu dans le déni.

Au quotidien, ma pathologie se manifestait par une immense fatigue, liée à une insuffisance rénale évolutive. Le mal était tel qu’il entravait ma vie sociale et professionnelle. J’avais dû arrêter les voyages et les postes à responsabilité, trop fatigants et stressants pour moi, et susceptibles d’avoir un impact grave sur ma tension et ma fonction cardiaque. Je ressentais aussi des douleurs, liées au grossissement des reins à cause des kystes, qui poussaient sur les autres organes.

Un jour, j’ai fini par parler avec mon néphrologue de ma fatigue chronique, de ma rétention d’eau et d’autres maux du quotidien. C’est alors qu’il m’a parlé de la greffe et du don du vivant, comme pour m’informer d’une alternative possible en cas d’évolution. Sur le coup, je n’ai pas compris en quoi je pouvais être concernée. C’était comme si refuser d’envisager cette alternative empêchait que cela puisse m’arriver.

La greffe : un dilemme personnel

Loetitia :

J'ai refusé catégoriquement d'envisager qu'un proche puisse se sacrifier pour moi en me faisant don d'un organe. Je trouvais cela si égoïste, si injuste de devoir faire subir à un être aimé ma maladie, que moi seule devait supporter. Mais ce professeur, proche de la retraite et sûrement plus sage que moi, a eu des mots difficiles à entendre à l’époque, mais que je comprends aujourd’hui : "accepter un don d'un proche c'est aussi permettre à votre famille d'avoir une meilleure vie, sans leur faire subir les contraintes et souffrances de la dialyse."

Je me souviens très bien qu'en sortant de ce rendez-vous, j'ai dit à Patricia : "Jamais je n'accepterais de recevoir un rein d'une personne de ma famille ! " Cette option était définitivement insupportable pour moi.

En attendant, le sport m'a aidée à maintenir une condition physique correcte. Cela évitait que je me sente trop fatiguée physiquement. Des années plus tard pourtant, la réalité m'a rattrapée. Mes résultats étaient de moins en moins bons et mon médecin m'a demandé de faire des prises de sang plus régulières, d'abord tous les 6 mois, puis tous les 3 mois. Il m'a recommandé vivement d'arrêter toute activité professionnelle, de me reposer, de me préserver. J'ai senti l'inévitable approcher… Le verdict est tombé : j'allais devoir être transplantée, la descente de ma fonction rénale s'accélérait.

Une greffe préemptive salutaire

Loetitia :

Une greffe préemptive (préventive, NDLR) me permettrait d'éviter la dialyse (un traitement éprouvant qui remplace les reins quand ils ne fonctionnent plus bien, NDLR) si un proche compatible me faisait don d'un rein. Il m'a fallu quelques jours pour oser en parler à mon entourage. Je culpabilisais. Et puis, quand j’ai fini par lâcher le morceau, surprise : 4 personnes voulaient me faire un don. Ma fille d'abord, mais cette marche était trop haute encore à monter pour moi, il n'en était pas question. Mon cousin, ma cousine enceinte qui devait attendre quelques mois après son accouchement, mon amie d'enfance et mon épouse. J'étais si reconnaissante, presque honteuse. C'est avec Patricia, mon épouse, que nous avons beaucoup parlé, pleuré, parlé encore et que nous avons décidé finalement, que c'était la meilleure solution. L'hôpital nous a encouragées : nos groupes sanguins, O toutes les deux, étaient les plus compatibles. S’en sont alors suivis 6 mois d'examens pour elle qui m'ont permis d'accepter ce don, de transformer la culpabilité et la colère en résilience.

Dans les yeux de Patricia (la donneuse) :

Je connaissais la dialyse, mais n’étais pas informée sur le fait que la transplantation pouvait également être une option, et encore moins sur la possibilité de faire un don de son vivant.

Je n’ai donc pas envisagé d’être donneuse jusqu’au fameux rendez-vous que nous avons eu avec Loetitia et son professeur, il y a 20 ans, où ce dernier a abordé le sujet.

Au moment venu, c'est-à-dire quand Loetitia est arrivée en phase terminale de sa fonction rénale, pour moi, c'était une évidence que je lui donne l'un de mes reins. Pour deux raisons. D’abord, bien sûr, pour lui sauver la vie. Mais surtout pour lui éviter de devenir une "chèvre attachée à son piquet" en attendant la prochaine dialyse et dans l'attente qu'un rein se présente à elle. Pour moi, la dialyse n'était pas une option. Je n'aurai pas supporté de voir mon épouse fatiguée et survivre grâce à une machine tout en restant bloquée à la maison à ne plus pouvoir rien faire à cause des effets secondaires que la dialyse engendre. En fait, la seconde est purement égoïste. Je me suis souvenue de ce que le professeur nous avait dit lors de ce rendez-vous. Donner un rein c'est sauver une vie, mais c'est aussi redonner la chance à son couple de retrouver un quotidien normal, en reprenant les voyages, le sport, les activités diverses et variées. Et puis, je ne pouvais pas laisser une autre personne que moi lui donner un rein.

Pour moi, c'était une évidence que je lui donne l'un de mes reins.

Une épreuve traversée en couple

Loetitia :

Nous avons traversé chaque épreuve ensemble avec humour et sérénité autant que nous l'avons pu, conscientes de la chance que j'avais de pouvoir bénéficier de ce traitement, de la prise en charge dont bénéficient les malades en France, et du niveau d'expertise médicale incroyable permettant ce miracle. Nous nous sommes préparées moralement et physiquement ensemble, comme pour une compétition, pour mettre toutes les chances de réussite de notre côté. Et puis la greffe est arrivée. Nous étions sereines, les équipes soignantes de l'Hôpital Necker ont été incroyables, l'opération s'est merveilleusement bien passée. Tout le monde était si bienveillant, si pro ! Je stressais plus pour Patricia que pour moi, demandait en permanence de ses nouvelles. Même au moment de rentrer au bloc, mes pensées étaient toutes pour elle. J'avais tellement peur, je pensais à ma moitié, qui passait sur la table d'opération pour moi, alors qu'elle n'était pas malade !

Le jour J, je stressais plus pour Patricia que pour moi !

Patricia :

Ce fût une aventure formidable qui a commencé à partir du moment où j'ai eu mon premier rendez-vous à l'hôpital Necker pour démarrer le marathon des examens qui a duré 6 mois. Ensuite arrive le jour J. La veille on vous accueille dans le service transplantation avec votre épouse. Loetitia part en soins attentifs directement. Et à ce moment-là, je me retrouve seule dans ma chambre et je me dis "Mais qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'es pas malade et demain tu vas subir une néphrectomie qui va durer 2 heures et demi, mais tu es dingue !" Et j'en ai ri. La situation était cocasse il faut avouer. Mais le lendemain de l'opération, quel bonheur d'avoir vu le visage de Loetitia tout rose, reprendre vie grâce à la greffe ! Là j'ai compris tout le sens de mon geste, qui finalement n'était pas grand-chose pour moi, car je vis normalement avec un rein... Mais elle, ça lui a sauvé la vie.

L’après greffe : la vie d’une transplantée

Loetitia :

L'après greffe a aussi été extrêmement bien prise en charge : les traitements, le suivi permanent, attentif et bienveillant des transplanteurs, orchestrant les traitements de façon individualisée pour éviter au maximum les effets secondaires. La vie d'un transplanté est faite de hauts et de bas, de petits bobos et parfois d'épisodes infectieux liés à notre immunosuppression… qui est finalement le plus compliqué à gérer pour nous au quotidien. Il a fallu éduquer nos amis, notre famille : éviter de les voir quand ils sont malades, faire attention à certains aliments interdits, leur expliquer pourquoi on porte un masque parfois, etc.

Les transplantés ont le devoir de prendre soin de leur greffon chaque jour, par respect pour ceux qui nous en ont fait cadeau. Grâce à eux nous avons la possibilité de commencer une nouvelle vie, et cette chance n'est pas donnée à tous ne l'oublions pas. Certains attendent des années. La pratique du sport, à notre niveau et selon les capacités de chacun, nous permet de garder une bonne condition physique, de réduire les effets secondaires des médicaments, de mieux lutter face aux aléas qui peuvent survenir, d'avoir un bon moral et de mener une vie la plus normale possible. Je dis souvent que prendre soin de son greffon est une activité à temps plein !

Les transplantés ont le devoir de prendre soin de leur greffon chaque jour, par respect pour ceux qui nous en ont fait cadeau.

Mon choix aujourd'hui est de militer pour que le don soit compris et ne fasse plus peur, que les transplantés aient conscience de l'importance de prendre soin de leur greffon à travers l'activité sportive.

Patricia :

Ancienne sportive de haut niveau, je me suis préparée à l'opération comme une compétition, pour mettre toutes les chances de mon côté. L'intervention s'est très bien passée, je n'ai eu aucune douleur, et dès le lendemain, je marchais. Un mois et demi de convalescence et je reprenais le chemin du travail ! Je ne garde aucun stigmate de l’intervention. La seule chose qui me le rappelle, ce sont ces 3 petits points (cicatrices) sinon, tout va très bien.

Un couple désormais fusionnel

Loetitia :

Nous étions déjà très proches et fusionnelles, mais maintenant la "fusion" a créé une forme de dépendance, j'ai du mal à être éloignée longtemps de Patricia. Je me sens aussi responsable de mon greffon et je mets tout en œuvre chaque jour pour en prendre soin avec amour, autant qu'il en a fallu à Patricia pour me faire ce don. Je suis reconnaissante à jamais pour cette nouvelle chance qu'elle m'a donnée de vivre cette vie si incroyable avec elle ! Même si elle déteste ce terme, je lui dis souvent qu'elle est mon héroïne ! Je fais tout pour qu'elle ne soit pas stressée par mon état de santé quotidien, car cela peut être aussi pesant pour les accompagnants.

Patricia :

Ce don m'a rapprochée encore plus de Loetitia. Ma position "d'accompagnante" de personne greffée a généré chez moi une sorte d'inquiétude permanente qui doit lui peser au quotidien. J'avoue ça ne doit pas être très cool pour elle, car je suis très régulièrement derrière elle, à vérifier si elle a bien pris ses médicaments, ou à guetter le moindre signe d'une infection ou d'un malaise... Hormis ces petites angoisses, je suis tellement heureuse pour elle et pour nous. C'est formidable !

Un événement : les Jeux Nationaux des Transplantés et Dialysés

Patricia :

La greffe et la dialyse sont encore trop absents des discussions publiques et médiatiques. Il y a tellement de choses à faire sur ce sujet. La dialyse est connue par le plus grand nombre voir par tous au sein de la population. Elle est considérée comme le seul traitement à l'insuffisance rénale pour la plupart d'entre nous. En revanche, le don d'organe comme traitement de substitution n'est pas suffisamment adressé ni par les hôpitaux, ni par les médias, et sans compter le don du vivant comme traitement préventif qui est à peine évoqué. Il y a encore énormément de progrès à faire sur ce sujet. Les associations font un travail formidable sur ce sujet.

Après Dunkerque en 2024, c’est au tour de Châtillon d’accueillir la 31ᵉ édition des Jeux Nationaux des Transplantés et Dialysés. Du 28 mai au 1er juin 2025, environ 150 participants sont attendus pour un week-end placé sous le signe du sport, de la rencontre et de la sensibilisation. Cet événement sera l’occasion de braquer les spotlights sur la réussite des transplantations et l’importance du don d’organes, à travers l’image forte et inspirante de personnes greffées ou dialysées engagées dans une pratique physique et sportive.

Il y a une marche organisée pour tous les dialysés, les transplantés, ou en attente d'une greffe mais aussi pour les donneurs et les accompagnateurs et pour toutes les personnes qui veulent soutenir les actions en faveur du don d'organes. Il y a aussi de nombreuses épreuves sportives organisées pendant toute la durée des jeux. Avec Loetitia nous allons participer à certaines d'entre elles. Mais notre engagement principal lors de ces jeux sera auprès du staff organisateur des jeux (Trans-Forme).