David Berty, 54 ans : “J’ai dû mettre de côté l’ego du sportif”Istock
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Tout a commencé en 1997 avec une névrite optique. À l’époque, j’étais sportif de haut niveau. Le genre de mec qui s’entraîne tous les jours, qui veut être le meilleur, mais aussi qui ne laisse rien paraître. J’ai vite compris que quelque chose clochait, mais je le cachais pour pouvoir continuer à jouer. C’est l’ego du sportif ! Mais au fond, je savais que ça ne pouvait pas durer. Même si je voulais me convaincre que c’était dû au sport intensif, je n’étais pas dupe. Je changeais de club chaque année, sans jamais vraiment affronter ce qui m’arrivait.

Un jour, mon ex-épouse, m’a conseillé de sortir du cercle des médecins du sport. Elle m’a dit d’aller voir quelqu’un qui ne me connaissait pas. C’est un généraliste qui m’a orienté vers un neurologue. Après une batterie d’examens, dont une ponction lombaire, le diagnostic est tombé : j’étais atteint d’une sclérose en plaques.

“Un jour, j’ai franchi le pas : j’ai vu un psy”

Paradoxalement, sur le moment, j’ai eu un sursaut de soulagement. L’ego du sportif, encore : je me suis dit “je n’étais pas faible, je n’ai pas triché, ce n’était pas dans ma têt e”. Mais ce sentiment n’a duré que quelques secondes. Ensuite, une seule image s’est imposée : celle du fauteuil roulant, de la dépendance. Je me suis vu finir comme ça.

C’est là qu’a débuté la période sombre. Pendant trois ou quatre ans, j’ai été en dépression, avec des idées noires. Je me suis replié sur ma famille, et j’ai un peu coupé les ponts avec le milieu du sport. Pourquoi ? À cause de l’ego encore. Un sportif, c’est “solide, indestructible”. Je ne voulais pas que mes anciens coéquipiers voient que je ne l’étais plus. On m'a proposé d’aller voir un psy, mais je n’ai pas voulu, me disant “je ne suis pas fou, je vais me débrouiller”. Mais la vérité, c’est que je n’y arrivais pas.

Petit à petit, il y a eu des rencontres, des phrases qui ont fait leur chemin. Par exemple, un ami journaliste m’a dit que je devrais me rapprocher d’une association. Mais j’avais peur d’être confronté à la maladie, et à ce que je pouvais devenir. Lui, il avait perdu sa femme dans le tsunami de 2004, en Asie. Il m’a dit : “La vie, c’est comme un parcours à vélo, avec des obstacles. Il faut pédaler à ton rythme, sinon tu tombes”. Cette phrase m’a marqué.

Puis un jour, j’ai franchi le pas : j’ai vu un psychologue. Je suis ressorti de cette séance comme un autre homme. Le simple fait d’avoir pu tout raconter, sans jugement, face à quelqu’un qui se fichait de mon passé sportif, ça m’a libéré. Je me suis un peu maudit de ne pas l’avoir fait plus tôt.

Si un jour je dois être en fauteuil, je veux n’avoir aucun regret

J’ai aussi finalement mis les pieds dans une association : l’Afsep (Association française des sclérosés en plaques). Et là, j’ai pris une claque. J’ai vu des personnes bien plus touchées que moi, et au lieu de me sentir confronté à ce qui pourrait m’arriver, je me suis rendu compte de ma chance. Je me suis dit : “Si un jour je dois être en fauteuil, je veux n’avoir aucun regret. Je veux avoir tout tenté.”

J’ai alors décidé de soutenir cette asso. Pour cela, j’ai retapé aux portes du rugby, et contre toute attente, elles se sont toutes rouvertes ! Soutien médiatique, événements, calendriers avec des joueurs, coups d’envoi fictifs pour le Tournoi des 6 Nations… J’étais à nouveau sur le devant de la scène, et pour une bonne cause. J’ai parrainé l’asso pendant plusieurs années, avant de devoir arrêter, à contrecœur.

Plus tard, en voyant des amis écrire des livres, je me suis dit : “Pourquoi pas moi ?” Mais je n’y croyais pas trop, car je n’avais pas le même palmarès. Ce sont mes filles et mon neurologue qui m’ont poussé. Ce dernier m’a dit : “Tout ce que tu vas raconter dans ce livre, je le dis tous les jours aux patients. Mais toi, tu peux franchir la barrière médecin-patient.” Le livre a eu un bel accueil, j’en étais ravi !

“Ça y est, j’ai trouvé mon sport”

Un jour, mon co-auteur me lance : “David, on voit que t’as bien profité des réceptions.” En montant sur la balance, j’ai pris une sacrée claque. Les médecins me déconseillaient de faire du sport à cause de la maladie, mais j’ai voulu m’y remettre. Courir n’était plus une option, mes jambes ne suivaient pas ! J’ai essayé plein de choses, mais je voulais toujours aller trop vite, trop fort… Comme avant finalement.

Il a fallu que je me pose et que j’admette une chose : cet ego de sportif, il fallait le laisser de côté pour repartir à zéro. J’ai commencé des entraînements sans poids, tout doucement. C’est là qu’un ami m’a parlé de son club de rugby à XIII en fauteuil. J’ai tout de suite été attiré par l’idée de retoucher le ballon… Mais j’ai rejeté le mot “fauteuil”. Je marche encore, je n’ai pas de fauteuil ni de canne. Alors j’ai trouvé toutes les excuses pour ne pas y aller.

Jusqu’à un jour de 2012, où j’avais épuisé toutes mes excuses ! Sur le parking, je me suis demandé ce que je foutais là, mais en entrant dans le gymnase, j’ai entendu des cris, des rires… Je ne comprenais pas. Les gars se rentraient dedans, tombaient, se relevaient, s’amusaient. À la fin de l’entraînement, j’ai voulu revenir voir pour comprendre, puis essayer.

Quand je me suis assis pour la première fois dans ce fauteuil, j’ai mis du temps à le maîtriser. Puis on m’a proposé un match : ce jour-là, en préparant mon sac, en enfilant mes affaires, en respirant l’odeur du vestiaire… Tous les souvenirs sont remontés. J’ai fini le match en sueur et en pensant : “Ça y est, j’ai trouvé mon sport !”.

J’ai gravi le Kilimandjaro, fait du saut en parachute… J’ai l’impression de vivre une deuxième vie !

Ce que j’ai appris avec cette maladie, c’est que se battre contre le handicap, ça ne sert à rien. Il vaut mieux apprendre à vivre avec, changer l’image qu’on en a, et que les autres en ont. Moi, j’ai fait tomber le mur que j’avais construit le jour du diagnostic : j’ai encore plein de choses à faire ici ! Elles seront différentes de mes plans, plus compliquées parfois, mais elles sont possibles.

Depuis mon diagnostic, j’ai gravi le Kilimandjaro, couru dans l’Atlantique, sauté en parachute, fait du vélo… J’aime bien faire ces activités en groupe, ou même à deux. Seul, ça serait plus difficile : ensemble, on s’aide, même sans parler. J’ai l’impression de vivre une deuxième vie !

Ne pas broyer du noir, c’est mieux pour soi et pour les autres

Aujourd’hui, la maladie n’a pas beaucoup évolué. J’ai des fourmis dans les jambes, des douleurs à la hanche, et récemment une névralgie faciale qui me provoque des douleurs à se taper la tête contre les murs. Mais je sais que ça passera. Et surtout, je prends davantage de plaisir dans ce que je fais à côté !

Pour moi, il y a deux routes : soit tu laisses la maladie te contrôler, soit tu bouges les fesses. Le choix est vite fait ! Quand on y réfléchit, la sclérose en plaques n’est pas mortelle, donc je suis encore là, et pour un bon moment. Alors autant ne pas broyer du noir, c’est mieux pour soi et pour les autres.

Sources

Témoignage de David Berty, ancien rugbyman professionnel, auteur de Rien ne vaut la vie ! (éditions Hugo Sport) et Le rugby et la vie, même match (éditions Privat).