
Jusqu’à récemment, les nerfs étaient vus comme de simples figurants dans l’histoire du cancer. Mais aujourd’hui, ils apparaissent comme de véritables complices. Plusieurs recherches, dont une publiée dans la revue scientifique Nature en 2019 révèlent que les cellules nerveuses ne se contentent pas d’être spectatrices : elles interagissent directement avec les cellules cancéreuses, stimulant leur propagation.
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Tumeur du cerveau : qu'est-ce qu'un gliomeCes découvertes marquent une nouvelle ère dans le domaine des neurosciences du cancer. Une spécialité en pleine effervescence qui étudie les multiples stratégies utilisées par les tumeurs pour détourner le fonctionnement du système nerveux à son profit. « Mais au-delà de ces progrès en recherche fondamentale, notre objectif premier reste la mise au point des nouveaux traitements dont nos patients ont absolument besoin », explique dans l’étude Nature, Erica Sloan, biologiste spécialiste du cancer à l’université Monash, à Melbourne.
Les premières observations de nerfs présents dans des tumeurs ne datent pas d’hier. En 1836, le professeur français Jean Cruveilhier rapporta un cas dans lequel un cancer du sein avait envahi le nerf crânien responsable des mouvements du visage et de ses sensations. Mais son constat a longtemps été sous-estimé.
Le cancer se sert des nerfs comme d’un rail pour progresser
Ce n’est qu’en 1998 que le chercheur Gustavo Ayala s’y est vraiment intéressé. Il a étudié un phénomène appelé "invasion périneurale", où les cellules cancéreuses s’accrochent aux nerfs et les utilisent comme chemin pour se déplacer.
Dans ses expériences, le professeur Ayala place des nerfs de souris dans une boîte avec des cellules humaines de cancer de la prostate. En une journée, les nerfs commencent à former des prolongements vers les cellules cancéreuses. Une fois en contact, le cancer se sert des nerfs comme d’un rail pour progresser dans leur direction.
En 2008, le scientifique publie une étude montrant que les tissus cancéreux de la prostate contiennent plus de nerfs que les tissus sains. À partir de là, plusieurs chercheurs dans le monde entier commencent à voir les tumeurs non plus comme un amas de cellules, mais comme un véritable mini-organe, composé de plusieurs types cellulaires, dont des nerfs.
Quand les nerfs aident le cancer à se défendre
Mais comment l’expliquer ? Les tumeurs ne restent pas inactives. Elles attirent les nerfs proches, un peu comme un aimant. Une fois connectés, ces nerfs envoient des signaux chimiques qui aident la tumeur à se développer. Pire encore, ces signaux poussent l’organisme à créer plus de vaisseaux lymphatiques, des canaux utilisés par les cellules cancéreuses pour se déplacer ailleurs dans le corps.
Et ce n’est pas tout : ces signaux nerveux affaiblissent aussi le système immunitaire. Ils épuisent les cellules T, qui sont les "soldats" du corps chargés de détruire les cellules cancéreuses. Ils activent même des cellules immunitaires qui, au lieu de combattre la tumeur, l’aident à se développer. Résultat : plus une tumeur est entourée de nerfs, plus elle est difficile à soigner.
Face à ces découvertes, les chercheurs lancent de nouveaux essais cliniques. Leur idée : réutiliser des médicaments déjà connus, comme certains antiépileptiques ou bêta-bloquants, pour bloquer le dialogue entre nerfs et cellules cancéreuses. Et les premiers résultats sont encourageants : les tumeurs deviennent moins agressives et les traitements classiques fonctionnent mieux.
Des médicaments accessibles et peu coûteux : une piste prometteuse
Découvrir que les nerfs aident le cancer à se développer bouleverse notre compréhension de la maladie. En empêchant cette "conversation" entre cellules nerveuses et cancéreuses, on pourrait créer des traitements plus ciblés, moins lourds et plus efficaces.
Bien sûr, le cancer reste une maladie grave. Mais il y a de vraies raisons d’espérer. Par exemple, en France, les données récentes montrent une amélioration significative de la survie nette à 5 ans pour de nombreux cancers localisés, comme le cancer de la prostate, avec des taux qui dépassent souvent les 90 %. Au Royaume-Uni, une personne sur deux diagnostiquée avec un cancer aujourd’hui est encore en vie dix ans plus tard. Aux États-Unis, la mortalité par cancer a chuté de 34 % en vingt ans. En Australie, 70 % des patients vivent au moins cinq ans après leur diagnostic.
Ces progrès sont liés à la baisse du tabagisme, au dépistage, mais aussi aux nouveaux traitements, comme l’immunothérapie. Cette méthode aide le système immunitaire à reconnaître et attaquer les cellules cancéreuses. Elle a déjà permis de sauver des milliers de vies.
Aujourd’hui, une nouvelle approche se dessine : empêcher les tumeurs d’utiliser les nerfs pour s’étendre et se défendre. Ce changement de perspective pourrait devenir l’une des prochaines grandes avancées en oncologie. Et la bonne nouvelle, c’est que les médicaments nécessaires existent déjà. Ils sont souvent peu coûteux et faciles à produire.
Dans un contexte où beaucoup de traitements contre le cancer coûtent extrêmement cher, cette découverte pourrait tout changer. Elle offre une chance d’imaginer des solutions plus accessibles, rapides à mettre en œuvre, et équitables pour les malades du monde entier.