

Dès lors que l’avenir se réduit, le passé prend une importance toute particulière. Pourtant, la vieillesse met en difficulté la mémoire. Certains souvenirs deviennent obsédants, tandis que d’autres disparaissent dans l’oubli. Lorsque le déclin cognitif laisse place au vide, la peur, l'angoisse et l’agressivité comblent cet espace au risque de plonger les proches dans le désarroi le plus total. Un quotidien basculé entre questions éthiques et pratiques. À tel point que certains semblent vivre dans un monde parallèle où plusieurs questions reviennent : quelle attitude avoir ? Comment accompagner au mieux les personnes atteintes de cette maladie dégénérative ? Que ressent un malade Alzheimer ?
L’oubli d’un souvenir est un processus normal. "La mémoire est une fonction mentale qui permet d'enregistrer, de conserver et de rappeler des informations, résume Francis Eustache, neuropsychologue, membre de cet observatoire et directeur de laboratoire à l'Inserm. Ce disque dur naturel n’a pas la capacité de tout conserver. Le gros travail de la mémoire, en fait, c'est de faire le tri en fonction de chacun, en fonction des situations, de nos préoccupations, de nos souhaits, de nos désirs", précise-t-il.
"Comme la maladie d’Alzheimer endommage la mémoire, on pense bien faire en la stimulant"
Au fil du temps, les éléments que la mémoire conserve tracent le récit d’une vie. "Cette réalité commune paraît si évidente, si solide, si habituelle qu’on ne soupçonne pas qu’elle puisse se désorganiser", expliquent les auteurs de l’ouvrage Mémoire et grand âge, comment mieux accompagner, paru aux éditions PUF en novembre 2024. Cette structure qui disparaît est une raison qui explique la désorientation des aidants et des patients.
La perte de mémoire qui engendre la répétition d'une même question
La maladie d'Alzheimer crée une sorte de fossé entre aidants et aidés. L'orientation dans le temps disparaît. Certains symptômes, comme la répétition incessante d’une même question, rendent le quotidien difficile. "Ce n’est pas qu’un symptôme de la maladie. C’est aussi l’expression d’une anxiété que l'ennui peut intensifier", explique dans l’ouvrage Patrick Gzil, professeur à l’Université Paris-Saclay, codirecteur de l’espace éthique et membre du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé.
Pour le professeur, derrière ces demandes se trouve souvent un besoin ou une attente qu’il faut essayer de décoder. "Comprendre cela ne donne pas de solutions toutes prêtes, mais cela permet de penser que ces patients ne font pas exprès de répéter et qu’ils ne sont pas fous", souligne-t-il.
Une maladie dégénérative
La démence bouscule la société. "Beaucoup tournent autour de l’idée de réparer la maladie, d’autres en font un repoussoir ingérable. Comme la maladie d’Alzheimer endommage la mémoire, on pense bien faire en la stimulant", témoigne Colette Roumanoff, qui a accompagné son mari dans la maladie. Pour elle, cette bonne intention peut se traduire par une mise en échec.
Pour éviter cet échec, l’infirmière en EHPAD à Dieppe, Laurence Ah-Sang, donne quelques conseils dans l’ouvrage dont voici un résumé.
Ménager leur dignité et leur amour-propre

“Ne jamais les réprimander avec rudesse et plutôt les encourager comme s’ils étaient nos pères ou nos mères.” Derrière l'agressivité réside une forte frustration. Selon la soignante, elle peut être atténuée par la manière d’aborder la personne qui souffre de la maladie d’Alzheimer. “Ne parlez jamais de la personne à d’autres comme si elle n’était pas là. Même si elle ne comprend pas, elle risque de se sentir exclue donc humiliée”, explique-t-elle.
Les écouter

L’écoute est plus importante que la parole. “Nous apprenons plus en laissant la personne s’exprimer sans l'interrompre. La conversation étant ouverte, la personne se sentira libre et des trésors d’histoires apparaîtront.”
Faire preuve d’empathie

Cette qualité indispensable en EHPAD soutient l’idée précédente de l’écoute. “C’est sans aucun doute la qualité par excellence pour une prise en soin réussie.”
Observer pour discerner leurs besoins

“Faire autant que possible avec eux sans pour autant faire pour eux”, explique Laurence Ah-Sang. Avec cette maladie dégénérative, le temps pour exécuter une tâche est plus long. C’est pour autant important que la personne continue à la réaliser le plus longtemps possible.
Être patient et doux

“Rester calme et se rappeler que les maladresses ne sont pas volontaires. Il y a plus de chances de coopération si douceur et patience sont au rendez-vous.”
Faire travailler les méninges

Dans le déclin cognitif, il est prouvé scientifiquement que certains exercices de stimulation cérébrale renforcent les connexions. “Faire des jeux de lettres, des puzzles, des mots croisés, discuter, rencontrer de nouvelles personnes, lire, se remémorer des faits agréables du passé…”
Accompagner avec respect et sincérité

“Ces activités intensifient la transmission. Ce sont des actions simples, mais elles doivent être dispensées avec amour, respect et sincérité, sans brusquer la personne.”