Scandale du Levothyrox : la cours d’appel confirme les mises en examens du labo et de l’Agence du médicament

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Mercredi 7 mai, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé les mises en examen de la filiale française du laboratoire pharmaceutique allemand Merck et de l’Agence française du médicament pour tromperie”, rapporte le quotidien Ouest-France. Plus précisément, le laboratoire est mis en examen pour “tromperie aggravée” et l’Agence du médicament pour “tromperie”. Aucune date de procès n’est pour l’heure connue, mais le géant pharmaceutique allemand s’est immédiatement fendu d’un communiqué de presse pour commenter cette décision, précisant qu’il allait se pourvoir en cassation : “Nous regrettons cette décision et maintenons fermement que Merck n’a commis aucune infraction. Ni la qualité du médicament, ni les informations données aux patients lors du passage de l’ancienne à la nouvelle formule du Levothyrox ne permettent de mettre en cause les sociétés du groupe en France”.

En juin 2019, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) avait publié un rapport définitif concluant de son côté que le passage à la nouvelle formule n'a pas provoqué de "problèmes de santé graves". En face du laboratoire et de l’ANSM, ce sont près de 30 000 patients qui déclarent avoir subi des effets indésirables notables.

Levothyrox : quel est le problème au juste ?

Tout a commencé en mars 2017. A l'époque, à la demande de l’ANSM, le laboratoire Merck change la formule de l’un de ses médicaments phares, le Levothyrox, prescrit pour les troubles de la thyroïde ou après l’ablation de la thyroïde (en cas de cancer par exemple). On estime que près de trois millions de personnes sont sous lévothyroxine en France, dont un tiers auraient abandonné cette nouvelle formule. La nouvelle formule conserve en effet le même principe actif - la lévothyroxine - mais change les excipients. Le but était de stabiliser le médicament pour le rendre plus efficace. Las, quasi immédiatement des milliers de patients se plaignent d’effets secondaires, parfois importants : vertiges, maux de tête, insomnies, crampes, etc.

L’enquête nationale de pharmacovigilance s’inquiète dès l’été 2017 de la "fréquence de signalement totalement inattendue" et “inédite” via son portail de signalement des effets indésirables accessible aussi bien aux patients qu’aux professionnels de santé. https://signalement.social-sante.gouv.fr/

En quatre mois, plus de 30 000 signalements d'effets indésirables sont recensés, sans compter ceux qui sont faits directement auprès du laboratoire. A l’époque, le problème n’a pas encore fuité dans les médias, on ne peut donc pas conclure à des signalements consécutifs à la médiatisation.

Quels sont les effets indésirables de la nouvelle formule du Levothyrox ?

Les patients (qui sont à 90 % des patientes, plus touchées par les troubles de la thyroïde) signalent en moyenne 5 effets indésirables conjugués. Le rapport de pharmacovigilance de l’ANSM publié en janvier 2018 liste les effets indésirables plus plus courants (expérimentés chez aux moins 10 % des patients) :

  • Asthénie (39,3 % des patients)
  • Douleur musculo-squelettique (29,8 %)
  • Vertiges/Sensations vertigineuses (26,8 %)
  • Dépression et équivalent (22,6 %)
  • Céphalées/Migraine (21,0 %)
  • Douleur autre (19,6 %)
  • Alopécie (17,3 %)
  • Hypertension (12,5 %)
  • Malaise (12,5 %)
  • Anxiété/Angoisse (12,5 %)
  • Insomnie (11,9 %)
  • Amaigrissement (10,7 %).

Pourtant en juin 2019, dans son rapport définitif sur le Levothyrox évoqué plus haut, l’ANSM conclut que le passage à la nouvelle formule n'a pas provoqué de "problèmes de santé graves".

Levothyrox : Les patients vont-ils (enfin) être entendus ?

C’est ce qu’ils espèrent avec la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. “C’est une confirmation par la Justice de l’existence d’indices graves ou concordants qui rendent vraisemblable qu’elles aient pu participer à la commission des faits de tromperie aggravée”, indique l'Association française des malades de la thyroïde (AFMT). “Pour les victimes c’est la preuve « qu’elles n’étaient pas folles », que leurs troubles étaient « bien réels » et non pas le résultat d’un prétendu « effet NOCEBO ». Mais ce n’est qu’une première étape. L’instruction doit reprendre activement.

"Merck a perdu et nous, on a gagné”, se réjouit de son côté Sylvie Chéreau dans une interview donnée à nos confrères de France 3 Régions. Cette habitante de Haute-Garonne est sous Levothyrox depuis l’ablation de sa thyroïde en 2003 et voit sa vie basculer au changement de formule en 2017. “Ce que j'ai vécu, c'est comme un empoisonnement. Il y a ce qui se voyait : la peau desséchée, comme celle d'un lépreux, les cheveux qui tombent...Et il y a tout ce qui ne se voyait pas, à l'intérieur.”

“J'ai été embarquée par les pompiers parce qu'ils ont cru que je faisais une crise cardiaque”

Autre témoignage marquant, celui de l'actrice Annie Duperey qui a plusieurs fois raconté son histoire dans les médias ces dernières années pour faire entendre la cause des patients. Elle qui à titre personnel a “eu les vertiges qui (ont) occasionné plusieurs accidents de voiture. (...) J'avais des crampes à la jambe, la faiblesse musculaire, je n'arrivais plus à monter un escalier. J'ai été embarquée par les pompiers parce qu'ils ont cru que je faisais une crise cardiaque.”

Des témoignages en nombre qui avaient déjà poussé le laboratoire à continuer à proposer l’ancienne formule (commercialisée sous le nom d’Euthyrox). Initialement disponible sur le territoire français jusqu’en mai 2020, la commercialisation d’Euthyrox en France a plusieurs fois été prolongée mais devrait s’arrêter cette année, en 2025.