
Les agriculteurs sont en colère. Certains d'entre eux demandent la réintroduction d’un pesticide interdit en France depuis 2018 et autorisé dans les autres pays européens. Leur motif : « lever les contraintes de l’exercice de leur profession ». Selon plusieurs experts, l’acétamipride, cet insecticide de la famille des néonicotinoïdes, a un impact délétère sur les insectes pollinisateurs, indispensables à la biodiversité. D'où son interdiction. Mais les abeilles ne seraient pas les seules impactées. De récentes études pointent du doigt l’effet neurotoxique pour la santé humaine et l’augmentation du risque de cancers.
« On a découvert des choses graves, qui concernent le neurodéveloppement chez le fœtus, et chez l'enfant, avec des maladies du spectre autistique, et des malformations cardiaques. D'autres études attestent qu'il y a un lien avec des cancers, par exemple le foie, la thyroïde, les testicules », détaille le 26 mai sur Radio France Jean-Marc Bonmatin, chimiste-toxicologue au CNRS et spécialiste des néonicotinoïdes.
Cela fait quelques années que les scientifiques alertent sur le potentiel caractère dangereux de ce produit. En 2022, des chercheurs suisses ont découvert de l’acétamipride dans le liquide céphalorachidien (un liquide biologique transparent dans lequel baignent le cerveau et la moelle épinière) de 13 enfants suisses sur 14 étudiés.
Même constat dans une étude chinoise de 2022 réalisée sur plus de 300 volontaires de tous âges. Un peu plus de 85 % portaient des traces détectables d'acétamipride dans leur liquide céphalorachidien.
« La présence d’un tel produit neurotoxique dans le liquide céphalorachidien, ce n’est pas du tout anodin », avertit au Monde, le biologiste Alexandre Aebi, de l'université de Neuchâtel et coauteur de l'étude suisse. « D’autant moins que, jusqu’à la publication de nos résultats, on nous disait que les néonicotinoïdes ne pouvaient pas traverser la barrière hématoencéphalique », ajoute-t-il.
« L’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) a estimé que les limites maximales de résidus en vigueur dans les fruits et légumes représentaient un risque pour le consommateur », indique Le Monde dans un article publié le 27 mai 2025. Par ailleurs, l'autorité sanitaire européenne indiquait que l’exposition au néonicotinoïde était associée à une baisse des niveaux de testostérone.
Plus récemment, une étude chinoise parue dans la revue scientifique ScienceDirect le 10 mai dernier a comparé l'exposition aux néonicotinoïdes chez 144 adultes souffrant de troubles neurologiques avec 30 personnes en bonne santé. Verdict : les chercheurs ont indiqué que l’exposition à ce pesticide est associée à des marqueurs d’inflammation. Avec des taux d’acétamipride dans les urines des malades six à sept fois plus élevés que chez les individus sains.
La réintroduction de ce pesticide inquiète sévèrement la communauté scientifique. Lundi 5 mai, plus de 1 000 chercheurs, médecins, soignants publient une lettre ouverte aux ministres de la Santé, de l'Agriculture, du Travail et de l'Environnement, ainsi que les quatre ministères de tutelle de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Ils alertent notamment sur l'impact des pesticides sur la santé.
Mais une autre inquiétude ressort de cette lettre ouverte : la création d'un « comité d'orientation pour la protection des cultures », prévu dans la proposition de loi. Ce conseil agricole pourra désigner des pesticides prioritaires pour lesquels on estime qu'il n'y a pas d'alternative. Dans ce cas de figure, le ministère de l'Agriculture pourra se passer de l'avis de l'Anses.
Il faut savoir que, depuis 2015, l’Anses est mandatée pour évaluer la dangerosité des pesticides, et autoriser ou non leur mise sur le marché. Les chercheurs qui font partie de l'agence apportent des données scientifiques en toute indépendance pour renforcer la sécurité sanitaire en France. « C'est une remise en cause de la place de l'expertise scientifique. (...) Nous nous opposons à la création d’un Conseil d’orientation agricole qui dessaisirait l'Anses d'une partie du contrôle scientifique et de la responsabilité assortie », s’indignent les 1 000 signataires.
Lundi 26 mai, les députés de l'Assemblée nationale ont voté à une très large majorité la motion de rejet préalable de la proposition de loi Duplomb. En rejetant ce texte, il est envoyé en commission mixte paritaire pour trouver un texte de compromis. Cette commission doit se réunir d’ici une dizaine de jours, avec sept députés et sept sénateurs, que les associations environnementales espèrent convaincre de voter contre.
"Ce texte est très important pour les agriculteurs parce qu'il propose de lever des freins à la production d'alimentation", a indiqué lundi sur franceinfo la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard, ajoutant "que le monde agricole attend beaucoup de ce texte". Une vision que ne partagent pas les défenseurs de l'environnement.