La loi Fin de vie votee a l-Assemblee : paroles de ceux qui vivent, soignent, ou accompagnent la mort

Clap de fin pour la proposition de loi sur l’aide à mourir. Après des décennies de débats et de controverses, les députés viennent, pour la première fois, d’adopter un texte sur la fin de vie, légalisant le suicide assisté et l’euthanasie. Pour beaucoup, cette loi apparaît comme un échec, un abandon, quand pour d'autres c’est une victoire. « La France peut être fière de ses parlementaires. Ça a été un débat apaisé et respectueux de l'autre », souligne sur France Info, quelques heures avant le vote, Alain Claeys, co-rapporteur de la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie de 2016, et membre du Comité national consultatif d'éthique, sur ICI Poitou.

Après un débat d’une quinzaine de jours, la proposition de loi a reçu le soutien de 305 députés, 199 ayant voté contre. Verdict : pour qu’un patient soit éligible au droit à mourir, la proposition de loi définit cinq critères cumulatifs : être atteint « d’une affection grave et incurable » qui « engage le pronostic vital, en phase avancée » ou « terminale », et présenter « une souffrance physique ou psychologique constante », avoir au moins 18 ans, être de nationalité française ou résider en France, et « être capable de manifester sa volonté de façon libre et éclairée ».

Un texte qui a secoué la société

Pendant des semaines, ce texte a secoué la société et la communauté médicale. Pour les associations de patients, ce projet constitue une avancée majeure pour les personnes confrontées à des souffrances insupportables et qui ne cessent pas. « Ce sont des situations qui sont vraiment bien identifiées, pour lesquelles, aujourd’hui, nous n'avions pas de réponse à apporter », précise sur France Info Stéphanie Pierre, responsable du plaidoyer sur la fin de vie pour France Assos Santé, collectif représentant les usagers du système de santé.

Mais pour d'autres, ce texte inquiète. « Il ne faut pas que l'aide active à mourir soit une solution parce qu'il n'y a pas de soins palliatifs, ou parce qu'il y a de la difficulté d'accès aux soins », a déclaré mercredi 28 mai, sur les plateaux de France Info, le ministre de la Santé et de l’Accès aux soins, Yannick Neuder.

Un vote d'ici à 2027 souhaité par Catherine Vautrin

Avant d’être adopté, le texte doit poursuivre son parcours législatif au Sénat, peut-être à l'automne, et revenir à l’Assemblée pour une seconde lecture. « Je souhaite que le texte sur l’aide à mourir soit voté d’ici à 2027, c’est encore possible », avait affirmé, le 24 mai, Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles.

Medisite a demandé l’avis de personnes concernées de près ou de loin par ce projet de loi. Ils sont patients, médecins, infirmiers ou encore de simples citoyens qui réfléchissent à leur manière de voir la mort. Voici un diaporama de leur point de vue.

Sophie Chrétien, infirmière en pratiques avancées en soins palliatifs à la maison médicale Jeanne Garnier

1/7
La loi Fin de vie votée à l'Assemblée : qu'est-ce que ça change vraiment ? Vos avis !

Infirmière en pratique avancée en soins palliatifs depuis une vingtaine d'années, Isabelle Chrétien est habituée à accompagner des patients en fin de vie. « Pour moi, ce texte est une aberration », s'indigne-t-elle.

Cette professionnelle de santé prend l’exemple d’une patiente atteinte d’un cancer du pancréas, qui entre pour la première fois dans son bureau et demande une sédation profonde et continue.  « La première chose que j’ai faite, c'est de l’écouter. J’ai noté dans son dossier son souhait de pouvoir bénéficier de la sédation profonde et continue. Mais j’ai aussi cherché à comprendre ce choix. C’était une femme avec une vie intellectuelle très riche, et qui souhaitait continuer à assister à des expositions et des conférences », se souvient la soignante.

Après l’instauration d’un climat de confiance et une éducation thérapeutique pour soulager la patiente au maximum, elle a pu continuer ses activités pendant un temps. « Ce travail de confiance est primordial si on veut accompagner les patients en fin de vie. L’objectif étant de la soulager et de vérifier que sa qualité de vie soit conservée. »

Au bout de quelques mois, l’état de la patiente s’est dégradé et elle a bénéficié de la sédation profonde et continue. « Elle est partie très vite. Elle a reçu cette sédation au bon moment. »

« Avec cette nouvelle loi, il y a quelque chose de l’ordre de l’abandon. Elle ne permet pas d’explorer ce qu’il y a autour de la souffrance du patient, alors que la loi Leonetti nous oblige à nous mettre au travail, même si c'est difficile », explique Sophie. « Nous avons besoin de soignants formés en soins palliatifs pour accompagner les patients au mieux dans la fin de vie. La loi Leonetti est une loi humaniste, quand celle-ci est mortifère », conclut la jeune femme.

Pour Sophie Chrétien, il faut décloisonner le système de santé, notamment en mettant en avant les IPA. « Il faut arrêter de tout centrer sur le médecin. Ça étouffe les possibilités, il faut repenser le système », conclut-elle.

Pr Grégoire Moutel, professeur de médecine légale et de droit de la santé à l’Université de Caen Normandie

2/7
La loi Fin de vie votée à l'Assemblée : qu'est-ce que ça change vraiment ? Vos avis !

Professeur de médecine, Grégoire Moutel est clinicien et enseignant-chercheur en médecine légale et médecine sociale, spécialiste des questions d’éthique en santé. 

Son expertise porte sur la décision médicale, l'évaluation des pratiques professionnelles, notamment l'évolution de la relation soignant-soigné, ainsi que les enjeux éthiques en santé. « Ce qui remonte des demandes de certains patients ou proches de patients, c’est l’accès trop tardif à la sédation profonde et continue. La loi de 2005 est insuffisamment appliquée pour de nombreux patients, et certains d’entre eux demandent que la fin de vie soit moins pénible, et aimeraient que la sédation profonde et continue soit appliquée plus tôt », explique-t-il.

Pour ce professeur, cette loi laisse la possibilité aux personnes qui ne souhaitent pas se voir dégradées de partir plus vite. « Il faut avoir l'honnêteté de dire qu’il y a des gens qui ne veulent pas aborder ces derniers mois. Dans les retours que nous avons des patients, beaucoup nous disent qu’ils veulent bien de la médecine palliative, mais qu’ils souhaitent décider jusqu'à quand », ajoute-t-il.

Selon lui, cette loi est une bonne chose, à condition que les garde-fous soient correctement énoncés. « Il faudrait clairement définir le délai raisonnable d’application. Quand on est clinicien et qu'on voit un patient se dégrader, on sait que le décès arrive dans les mois qui suivent la dégradation des symptômes. On peut donc donner un délai », précise-t-il. 

« L'éthique a pour finalité de mettre une borne, et si on ne la met pas, c’est l’ouverture à toutes les dérives. Il faut donc déterminer le délai de pronostic vital engagé. »

Dre Sophie Moulias, gériatre à l’hôpital Ambroise-Paré (APHP) et aux Abondances à Boulogne-Billancourt

3/7
La loi Fin de vie votée à l'Assemblée : qu'est-ce que ça change vraiment ? Vos avis !

La Dre Sophie Moulias est gériatre. Elle suit des personnes en fin de vie depuis de nombreuses années et s'inquiète beaucoup de l’arrivée de cette loi. « La nouvelle loi n’est pas une voie thérapeutique. Donner la mort n'est pas une façon de soigner les gens. Ce qui ne veut pas dire que le soin se limite à guérir, mais ça me paraît terrible d’imaginer le soin en proposant la mort », affirme-t-elle.

Elle défend la loi Leonetti, qui, selon elle, a changé la prise en charge de la fin de vie en France. « Pour moi, c’est un trésor national. Elle nous permet de soulager et de répondre aux questions et aux angoisses de tous ceux qui arrivent jusqu'à nous. Elle n’existe nulle part ailleurs et nos voisins européens nous envient », souligne-t-elle.

Pour cette gériatre, c’est l’organisation de la médecine qui pose problème. « Il manque des équipes palliatives dans 22 départements français métropolitains. On manque de professionnels de santé partout. La réflexion sur la médecine est nécessaire, mais il faut revoir le fonctionnement du système de santé, et cette loi arrive dans cet état d’esprit. »

« Le fait que les deux lois soient scindées est cependant rassurant, mais il y a un risque de dérive. Si on regarde au Canada, il faut attendre plusieurs mois pour avoir des soins palliatifs, alors que l’euthanasie peut être proposée de suite. Le tout est de savoir quelle société nous voulons. »

Louis Bouffard, 25 ans, souffrant d’une myopathie de Duchenne

4/7
La loi Fin de vie votée à l'Assemblée : qu'est-ce que ça change vraiment ? Vos avis !

Louis Bouffard a 25 ans et souffre de la myopathie de Duchenne, une maladie génétique provoquant une dégénérescence progressive de l’ensemble des muscles de l’organisme. « J'ai perdu la marche à l'âge de 10 ans et l'usage de mes bras à l'âge de 13 ans », témoigne-t-il.

Aujourd’hui, Louis a besoin d'une assistance respiratoire la nuit et une partie de la journée. Son quotidien dépend des autres. Et pourtant, il tient profondément à la vie. « J'aime ma vie parce que je suis entouré. Le lien avec les autres me permet d'écrire des livres et d'être conférencier », explique-t-il.

Pour lui, cette loi met en danger les plus fragiles et remet en cause la dignité de la personne elle-même. « Je me demande si, un jour, aux yeux de la société, je serai toujours digne d’avoir ma place. On nous parle de liberté, mais je dépends des autres et je suis à la merci des autres. Cette loi me fragilise. C'est une pression sociale que j’observe dans les yeux des gens », déplore-t-il.

Le jeune homme prend l’exemple des pays où l’euthanasie a été autorisée, et les dérives qui ont pu s’installer. « On nous promet un cadre strict, mais dans les autres pays, les garde-fous sautent, et on l’observe. Ce sont les plus pauvres qui demanderont l’euthanasie », s’inquiète-t-il. « Cette loi vient questionner les valeurs mêmes de l’existence, comme si certaines vies valaient moins que d’autres. »

Pour Louis, la France a besoin de professionnels formés pour écouter et soulager la souffrance des patients. Mais cela ne doit pas passer par la mort. « En tant que société humaniste, on se doit d’accompagner jusqu’au bout. Il faut faire de l’hôpital une cause nationale. »

Delphine, 44 ans, atteinte de la maladie de Huntington

5/7
La loi Fin de vie votée à l'Assemblée : qu'est-ce que ça change vraiment ? Vos avis !

Delphine n’a pas témoigné sur Medisite mais dans Le Parisien. Cette aide-soignante de 44 ans vit depuis dix ans avec un diagnostic qui a bouleversé sa vie : la maladie de Huntington, une pathologie génétique, héréditaire et incurable, qui provoque un handicap moteur et cognitif.

Pour elle, cette nouvelle loi est une bonne nouvelle. « Qu’on nous laisse décider par nous-mêmes de notre mort », confie-t-elle au Parisien. « Je ne veux pas partir quand tout va bien, rassure-t-elle. Je veux partir quand cela aura pris trop de place dans ma vie et que je ne serai plus celle que je suis. »

« J’entendais tout et son contraire de la part de personnes éloignées du sujet, qui brandissaient des peurs qui ne sont pas les nôtres. Personne ne leur demandera d’utiliser ce mode de départ si leur vie ne le leur impose pas. Les gens mélangent tout, y compris au sein du corps médical ou chez les religieux. Je crois en Dieu. Je pense du fond du cœur que j’ai été une bonne personne et que je n’irai pas en enfer. On n’obligera personne à avoir recours au suicide. Pourquoi veulent-ils nous en empêcher ? Si je devais prendre 90 médicaments par jour pour vivre, je le ferais. Mais il n’y a aucun espoir de traitement. Au moins, qu’on nous laisse décider par nous-mêmes de notre mort. »

Pour cette jeune femme, tout est déjà organisé dans sa tête. « Pouvoir mourir volontairement en France rendrait tout plus facile, car c’est aussi une question d’argent. Il est vraiment temps que cela évolue. D’autant plus que cela va encore prendre du temps avant que ce soit effectif. Car après le parcours législatif, il faudra former tout le personnel. J’ai hâte qu’on soit prêts. »

Monique, 75 ans, aidante de son mari décédé de la maladie de Charcot

6/7
La loi Fin de vie votée à l'Assemblée : qu'est-ce que ça change vraiment ? Vos avis !

Pour Monique, la maladie de Charcot, qui a touché son mari il y a une dizaine d'années, a bouleversé son quotidien et celui de toute la famille. « C’est difficile de voir la personne qu’on aime se détériorer de la sorte », se rappelle-t-elle. « Les derniers mois ont été extrêmement difficiles, et cette loi aurait pu aider mon mari à partir plus tôt », témoigne-t-elle.

Cet homme, avec qui elle est restée mariée plus de 30 ans, croquait la vie à pleines dents. « C’était un passionné, qui n’a jamais cessé de travailler », se souvient-elle. « Lorsque la maladie était bien installée, il ne supportait plus de se voir autant diminué. Je me sentais totalement démunie, sans pouvoir faire autre chose que de l’accompagner. Mais je sentais qu’il souhaitait que ça s’arrête. »

Une personne sur cinq accompagne un proche en situation de fragilité. Cela correspond à environ 11 millions de Français, selon les chiffres du ministère des Solidarités et de l’Autonomie. Des aidants à bout de souffle, qui vivent des situations difficiles. Pourtant, leur rôle est aussi essentiel que celui des soignants. Une noble cause, jalonnée de défis, dont la responsabilité est parfois lourde à porter.

« Je ne regrette pas d’avoir accompagné mon mari jusqu’au bout. C’était mon rôle, et si c’était à refaire, je le referais. Cependant, si cette loi avait été en vigueur durant les derniers mois de son existence, la fin de vie de mon mari se serait sûrement passée différemment. »

Elisa Rojas, avocate au barreau de Paris et militante pour les droits des personnes handicapées

7/7
La loi Fin de vie votée à l'Assemblée : qu'est-ce que ça change vraiment ? Vos avis !

Elisa Rojas est avocate au barreau de Paris et militante pour les droits des personnes handicapées. Elle a témoigné pour le média La Vie. « Le texte est dangereux, car il met en danger la vie des personnes dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme », raconte-t-elle.

Pour elle, la loi Leonetti répond correctement et dignement à la fin de vie. « La France dispose déjà d’un cadre légal concernant la fin de vie, issu des lois Claeys-Leonetti, qui donnent déjà aux malades au pronostic vital engagé à court terme une réponse équilibrée. Une mission parlementaire qui a fait le bilan de ces textes a confirmé qu’ils répondaient à la majorité des situations », ajoute-t-elle.

Elisa Rojas voit dans cette nouvelle loi un danger pour la société elle-même. « Ce texte mettra nos vies en danger au sens le plus littéral. Il viendra légitimer l’idée, déjà très ancrée dans la société, que la mort des personnes malades et handicapées est toujours préférable à leur maintien en vie. Son adoption constituera à elle seule une incitation au suicide pour les personnes concernées, puisqu’il sera plus simple d’avoir accès à la mort qu’aux aides et aux soins dont elles ont besoin pour vivre. Prétendre qu’elles ne feront pas l’objet de pressions est mensonger », s’inquiète-t-elle lors de son interview pour le média La Vie.

Pour cette militante, tous les efforts devraient plutôt se concentrer sur l’amélioration de notre système de santé et notamment la qualité des soins palliatifs. « Le rapport de la mission d’évaluation des lois Claeys-Leonetti de 2023 a confirmé que, lorsque les malades étaient bien pris en charge, ils ne demandaient plus à mourir. »

Partager :