Jeux d’argent en ligne : un psychiatre alerte sur un fléau invisible qui touche tout le monde
C’est un chiffre qui donne le vertige. Plus de cinq millions de Français jouent aujourd’hui à des jeux d’argent en ligne, soit une hausse de 35 % en deux ans, selon l’Association française du jeu en ligne (Afjel). Et parmi eux, plus de trois millions seraient déjà dans une situation d’addiction. Un phénomène inquiétant que le psychiatre et addictologue Laurent Karila qualifie de « catastrophe sanitaire ».
Invité de franceinfo le 4 novembre, il tire la sonnette d’alarme : les sites illégaux de jeux en ligne explosent et « plongent de nombreux joueurs dans des problèmes financiers majeurs », tout en alimentant ce qu’il décrit comme « un système de voyoucratie ». Ces plateformes, souvent hébergées à l’étranger, échappent à tout contrôle : aucune limite de mise, aucune vérification d’âge, et des incitations permanentes à rejouer.
Le baromètre de l’Afjel publié début novembre est sans appel : 62 % des joueurs de sites illégaux présentent une addiction avérée. Pour évaluer cette dépendance, le Pr Karila s’appuie sur la règle des cinq C : perte de contrôle, usage continu, craving (l’envie irrépressible de jouer), usage compulsif et conséquences psychologiques, physiques ou sociales. Ces critères doivent être observés sur une période d’au moins douze mois pour poser un diagnostic fiable.
Mais ce qui inquiète le plus le psychiatre, c’est la facilité d’accès à ces plateformes. Tout est fait pour encourager la rechute. Les notifications, les bonus, les messages de relance. « Une personne malade, atteinte d’addiction, ne se contrôle plus. La perte de contrôle est totale, l’envie monte et on ne maîtrise plus rien, d’autant plus que c’est tellement facilement accessible », décrit-il.
Les seniors, une population de plus en plus vulnérable
Et contrairement à certaines addictions, aucun traitement médicamenteux ne soigne directement la dépendance au jeu. En revanche, elle est souvent accompagnée de dépression, d’anxiété ou de troubles du sommeil, qui, eux, peuvent être traités. D’où l’importance d’un accompagnement psychologique et médical complet.
Longtemps considérée comme un problème de jeunes, l’addiction au jeu en ligne touche désormais aussi les seniors. Avec plus de temps libre, parfois isolés ou fragilisés psychologiquement, certains trouvent dans ces jeux un moyen de rompre la solitude… avant de s’y perdre. Les promesses de gains faciles, l’excitation du jeu et la possibilité de miser à toute heure créent un terrain idéal pour la dépendance.
Les bons réflexes pour jouer sans danger
Pour ceux qui jouent en ligne, quelques gestes simples peuvent limiter les risques. La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) recommande de protéger ses données personnelles : vérifier les autorisations demandées (géolocalisation, micro…), choisir un pseudo et un avatar éloignés de son identité, et utiliser une adresse mail dédiée au jeu.
Mieux vaut aussi éviter d’enregistrer ses coordonnées bancaires sur les plateformes. Même les grandes entreprises peuvent être victimes de piratage. En cas de fuite de données, les conséquences peuvent être désastreuses.
Enfin, les parents doivent rester vigilants : certains jeux attirent les mineurs dans des environnements où les adultes peuvent facilement se faire passer pour des enfants. Ce phénomène, appelé grooming, peut conduire à des situations de harcèlement ou d’exploitation.
Une vigilance collective
Alors que le jeu en ligne s’impose comme un loisir de masse, le Pr Karila appelle à une prise de conscience collective. Pour lui, il est urgent d’agir : mieux encadrer les plateformes, renforcer la prévention, et former les professionnels de santé à repérer plus tôt les signes d’addiction.