Épidémie de SARS-CoV-2 : ce qu’il se passe vraiment dans les hôpitauxIstock
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Face à l’affluence de patients qui présentent des symptômes évocateurs d’une contamination au SARS-CoV-2, les hôpitaux français sont débordés. Nombre de lits insuffisants, manque de moyens, personnel épuisé… Certains établissements ont dû déclencher le “Plan Blanc”, comme c’est le cas au CHU de Strasbourg, tandis que d’autres sont au bord de la saturation.

Une pénurie de masques et de gel hydroalcoolique dans les hôpitaux

Dans les trois hôpitaux de l’AP-HP du 93, en Seine-Saint-Denis, la pénurie d’équipements se fait sentir. “Nous n’avons pratiquement plus de gel hydroalcoolique, seulement des fonds de bidon”, témoigne Claire*, infirmière aux urgences. “D’après la cadre de la pharmacie, nous serons livrés aujourd’hui, mais il n’y aura que 95 flacons pour tout l’hôpital, ce qui est dérisoire”.

Désemparé, l’hôpital public semble même envisager le système D. “La direction nous a demandé de garder des bidons de manugel vides, pour éventuellement en fabriquer nous-mêmes. Mais on n’est pas du tout équipés pour en fabriquer…”

“Chaque service cache un peu ses masques”

Les masques, quant à eux, sont délivrés au compte-goutte. “Les patients et les policiers qui arrivent à l’hôpital en réclament ; mais on ne peut en donner qu’aux individus qui présentent réellement des symptômes grippaux”, explique l’infirmière. Elle précise d’ailleurs que “les masques chirurgicaux ne font que protéger les patients, pas ceux qui le portent”. Seuls les masques dits “SSP2” protègent aussi le porteur, “mais on n’a que des fonds de boîte et l’on est obligés de les cacher”, déplore-t-elle.

Même le personnel soignant n’a pas accès à ce type de masque de protection ; ces derniers sont toutefois obligés de porter un masque chirurgical. Autrement dit, ils sont dans l’obligation de protéger les patients, mais n’ont pas les outils pour se protéger eux-mêmes de l’infection.

“Chaque service cache un peu ses masques, pour les garder pour soi et les patients qui doivent en porter. Déjà qu’on n’est pas très bien lotis au niveau du matériel en temps normal, mais là, c’est la crise”, se désole Claire, qui ignore si une nouvelle livraison est prévue prochainement.

Les patients dont l’état n’est pas critique sont renvoyés chez eux

Le nombre de lits disponibles, trop restreint, inquiète aussi. “Dans notre hôpital, le service de réanimation avait été fermé vers le mois de novembre. Là, ils sont obligés de rouvrir des lits en réa, une dizaine il me semble, et autant en médecine interne”, explique l’infirmière urgentiste. “En réanimation, je pense que oui, il va manquer des lits, parce qu’on n’est pas encore au pic de la maladie. Mais je n’en sais pas plus”.

Au tout début de l’épidémie, les urgences étaient encore en mesure de mettre à l’écart chaque cas suspect. “On isolait les patients qui venaient d’une zone à risque dans un box et une seule personne, entièrement équipée, devait s’en occuper”, relate Claire. “Mais on a vite été débordés, il n’est plus possible d’isoler qui que ce soit”.

Un nombre de dépistages quotidiens limité

Désormais, les urgentistes essayent tant bien que mal d’examiner les patients en les tenant un peu à l’écart, dans le box de l’infirmière d’accueil. Et si leur état n’est pas grave, ils sont tout simplement renvoyés chez eux. “On leur donne seulement des conseils : porter un masque, ne pas dormir avec son conjoint… Mais on ne les teste pas”.

D’une part, parce que le test de dépistage en lui-même est coûteux, et nécessite une bonne organisation. “On peut faire 40 prélèvements par jour sur les 3 hôpitaux de l’AP-HP du 93, qui sont ensuite envoyés par coursier au Centre National de référence des virus des infections respiratoires. On a environ 120 passages sur 24h, on ne peut pas tester tout le monde”.

“Tester tout le monde ne servirait à rien”

D’autre part, parce que tester tous les patients qui toussent et qui ont de la fièvre ne servirait à rien. “Même si le test s’avérait positif, on ne pourrait pas garder ces personnes à l’hôpital. On a déjà peu de places pour les cas graves, on ne peut pas garder les personnes qui vont bien - autrement dit, dont les constantes sont stables”.

L’infirmière rappelle d’ailleurs qu’il n’existe pas de traitement contre le virus SARS-CoV-2. “La seule chose à faire, c’est de rester chez soi, prendre du Doliprane et attendre que ça passe”. Bien sûr, si l’état d’un patient s’aggrave et qu’il manifeste de réelles difficultés respiratoires, il doit se rendre aux urgences. “Mais c’est dur pour quelqu’un de se dire “moi je vais bien donc je peux laisser ma place à quelqu’un” : du coup tout le monde vient aux urgences, et on est blindés”.

L’épidémie croît de façon exponentielle, les soignants dépassés

L’épidémie croît de façon exponentielle, les soignants dépassés© Istock

Dans la mesure où finalement très peu de monde bénéficie d’un test de dépistage de SARS-CoV-2, il est possible que nous soyons “loin de la réalité des chiffres”. L’infirmière urgentiste estime qu’on “peut multiplier par 2 ou 3 le nombre réel de personnes contaminées”, bien qu’il ne s’agisse que d’une supposition.

Non-respect des gestes barrières par la population, frontières restées ouvertes, contagiosité du virus… Les facteurs qui peuvent expliquer l’explosion de la maladie sont multiples. “Personne ne s’est inquiété, moi la première”, regrette l’infirmière. “Et maintenant que ça devient la catastrophe, c’est trop tard”.

“Il aurait fallu informer davantage” la population

Cette dernière met aussi en lumière “l’égoïsme de certaines personnes qui se sont précipités sur les masques, sans en laisser à ceux qui en ont vraiment besoin”, et met en cause le manque d’information des populations. En effet, beaucoup ignorent que les masques chirurgicaux sont inefficaces pour se protéger contre le virus et, en priment, ne savent pas les utiliser correctement.

“On observe des gens qui ont des gants, un masque, mais passent leur temps à se toucher le visage… Leur protection est donc totalement inutile. À l’hôpital, on nous apprend que l’équipement doit être mis et retiré dans un certain ordre”, explique la professionnelle de santé. “À part nous dire de tousser dans son coude et se laver les mains, il aurait fallu informer davantage”.

La prise d’anti-inflammatoires semble aggraver la maladie

Enfin, la disponibilité en vente libre des anti-inflammatoires non-stéroïdiens n’aurait pas aidé, puisque leur usage semble aggraver les effets de la maladie. “Ça fait des années qu’aux urgences, on ne comprend pas pourquoi les AINS sont toujours en vente libre”, regrette l’infirmière.

L’ensemble de tous ces facteurs aurait donc eu “un effet boule de neige”, qui a entraîné un débordement rapide des soignants. “Or, bien avant cette crise sanitaire, l’hôpital public était déjà en manque de moyens”.

*Le prénom a été modifié.

Sources

Merci à Claire, infirmière aux urgences d'un hôpital de l'AP-HP du 93 (Seine-Saint-Denis). 

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