Personnes toxiques : pourquoi sont-elles de plus en plus nombreuses ?
Medisite : On a l'impression qu'il y a de plus en plus de personnes toxiques, comment l'expliquer ?
Boris Charpentier : Depuis une quinzaine d’années le champ lexical qui fait référence au terme “toxique” s’est considérablement élargi. Des conduites qu’on appelait autrefois “égoïste”, “impoli” se trouvent désormais regroupées sous cette appellation. Plusieurs recherches montrent que l’expansion sémantique des notions liées au préjudice (abus, harcèlement, traumatisme) rend plus probable l’étiquetage de telles conduites comme toxiques.
D’autres recherches en sciences sociales montrent qu’un message qui contient des termes à la fois moraux et émotionnels (injustice, honte, trahison, cruel) a plus de chance d’être partagé. Ce qui veut dire que sur les réseaux sociaux des messages qui contiennent à la fois une charge morale et émotionnelle circulent beaucoup plus vite…
On peut donc dire que les plates-formes et les réseaux sociaux favorisent plus naturellement la propagation des discours qui accentuent la perception des comportements toxiques.
Notre biais de négativité nous amène à accorder plus de poids aux événements négatifs ce qui accentue encore plus cette impression. En gros, notre cerveau retient et amplifie davantage le négatif.
Pourquoi les personnes toxiques peuvent-elles aussi se trouver dans notre entourage proche ?
Selon la théorie de l’interdépendance, plus la relation est intime, plus les objectifs et les besoins de chacun sont imbriqués. Cela implique potentiellement plus de friction et de contrôle quand les objectifs entrent en conflit. Dans les relations familiales ou amicales, les comportements de chacun affectent directement les “résultats”, les émotions et les choix de l’autre. Chacun est interdépendant car les objectifs et les besoins s’imbriquent. Évidemment, cela a des conséquences positives. Par exemple, un soutien mutuel plus profond, une régulation émotionnelle, etc.
Malheureusement, quand les objectifs sont divergents, alors les conflits sont plus probables.
Quand chaque choix touche directement l’autre (accepter ou refuser une dépense ou une sortie par exemple), le contrôle de l’autre est possible : parce que mes besoins dépendent fortement de toi, je peux chercher à surveiller, restreindre ou manipuler ton comportement pour préserver mes intérêts.
Les relations familiales ou amicales sont-elles propices à ce type de profil ?
Plus la proximité est forte, plus la relation a de potentiel nourrissant mais aussi plus de potentiel de frictions et de comportements intrusifs et toxiques…
Dans un couple ou une relation familiale toxique, l’alternance imprévisible de tendresse et de rejet (ou d’abus) crée un attachement extrêmement fort, souvent plus difficile à rompre que si la relation était uniquement négative. C’est ce qu’on appelle “attachement traumatique” : l’alternance d’affection et de rejet entretient un lien très puissant malgré la souffrance. Cet attachement est entretenu par ce que la psychologie comportementale nomme le renforcement intermittent. Contrairement à une récompense stable, une récompense distribuée de façon irrégulière renforce beaucoup plus le lien… même si celui-ci est douloureux.
Ce type de dynamique peut provoquer des symptômes proches du stress post-traumatique et rendre la séparation particulièrement difficile.
Quels sont les signes les plus évidents à repérer ? Et que faire ?
Il y a des signes qui doivent alerter. Essayez de repérer notamment ce genre de comportement :
Gaslighting : faire douter l’autre de sa mémoire ou perception.
Incivilité chronique : micro-agressions répétées qui s’amplifient.
Dark Triad : narcissisme, machiavélisme, psychopathie qui mènent à la manipulation, l’instrumentalisation, une faible empathie.
Contrôle coercitif : surveillance, restrictions, isolement .
Que faire ? On peut conseiller de nommer des comportements précis plutôt qu’étiqueter la personne (“quand tu fais X, je ressens Y”), de poser des frontières claires avec conséquences réalistes, de rompre le cycle du renforcement intermittent, d’établir un plan de sécurité en cas de coercition ou ou de violence psychologique. Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et modules d’habiletés interpersonnelles peuvent aussi être efficaces.
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Interview de Boris Charpentier, psychologue.