Wolbachia : une bactérie pour venir à bout de la Dengue

Ce micro-organisme a permis de bloquer la propagation de la Dengue en Nouvelle-Calédonie grâce au programme « World Mosquito Program » lancé en 2019 sur cette île du Pacifique. Mais cette bactérie est-elle une solution miracle à ce problème de santé publique ? Des chercheurs l’étudient.

 

Relâcher des moustiques infectés pour éviter qu’ils transmettent des maladies comme la Dengue paraît sorti tout droit d’un film de science-fiction. Et pourtant depuis une vingtaine d’année, le professeur Scott O’Neill, fondateur de l’association World Mosquito Program basé dans la ville de Pau, s’est penché sur la question avec des résultats pertinents dans les zones tropicales ou la Dengue tue de nombreuses vies humaines chaque jour.

Le moustique Aèdes aegypti qui est un cousin du moustique tigre, est responsable de la transmission de la Dengue dans la zone intertropicale. C’est le vecteur principal de cette pathologie dans les Antilles, à la Réunion et en Nouvelle-Calédonie. Et c’est cet insecte précisément qui attire toute l’attention du professeur Scott O’Neill et son équipe.

Pour stopper la prolifération de la Dengue, les chercheurs misent sur une bactérie : Wolbachia pipientis. "La bactérie permet de limiter la transmission de cet arbovirus. La méthode a été validée dans les zones tropicales où la maladie est difficilement contrôlable", souligne le professeur Frédéric Simard, entomologiste médical et directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement, à Montpellier.

"Notre mission première n'est pas d'éradiquer les moustiques, mais de les contrôler"

Mais comment fonctionne cette stratégie ? Le World Mosquito Program élève des moustiques Aedes aegypti, les infecte avec la bactérie Wolbachia, puis les relâche afin qu’ils transmettent cette bactérie aux moustiques déjà présents. "Ce procédé permet à la bactérie d’interagir avec le virus et le système immunitaire du moustique, pour que celui-ci ne puisse plus transmettre la Dengue", détaille le professeur Simard. Déployée dans 11 pays, cette méthode protège aujourd’hui 8,5 millions de personnes selon l’association.

A l’heure où les questions sur la biodiversité sont sur toutes les lèvres, cette technique à l’avantage de ne pas bouleverser les systèmes écologiques tout en combattant le risque sanitaire. " Notre mission première n'est pas d'éradiquer les moustiques, mais de les contrôler. Nous intégrons une bactérie dans leur système, mais nous ne voulons pas déranger l’écosystème bénéfique qui découle de la présence de ces moustiques ", souligne le professeur O’Neill à nos confrères de la presse régionale " presse Lib " du Béarn où se situe son association. Cette technique paraît miraculeuse. Mais est-elle applicable en France ?

"La législation française ne permet pas la mise en place de la bactérie"

L’hexagone observe depuis plusieurs années une remontée des cas de Dengue importées. La présence du moustique Tigre qui s’accroît, inquiète les pouvoirs publics. Mais à l’heure actuelle, cette technique créée par le World Mosquito Program n’est pas appliquée en Europe. " Au niveau réglementaire, nous sommes dans le flou en France. Ce n’est pas un moustique transgénique et ce n’est pas un insecticide. Cette imprécision complique la mise en place du dispositif ", indique le professeur Simard. " Ce n’est pas encore un problème de santé publique dans l’hexagone. Alors que dans les pays du sud des gens meurent. La balance bénéfice risque n’est plus la même. Mais vu l’augmentation des cas dans toute l’Europe, la législation va peut-être le prendre en compte ".

" On créer un système où on lâche une bactérie dans la nature. Les virus s’adaptent, et il y a des chances qu’ils trouvent un moyen de se propager "

Biologiquement élégante, épidémiologiquement redoutable, la méthode n’est cependant pas exempte d’incertitudes. Le recul manque encore pour garantir l’absence d’effets imprévus sur la biodiversité ou la santé humaine. "On joue avec le feu parce que l’on propage une maladie dans un moustique. Les interactions avec les êtres humains évoluent. On crée un système où on lâche une bactérie dans la nature. Les virus s’adaptent, et il y a des chances qu’ils trouvent un moyen de se propager. On est sur un équilibre instable mais il est intéressant de continuer de l’observer", analyse le professeur Simard.

Pour lui, la solution ne peut être unique. "Il faut continuer à développer des méthodes complémentaires. Cette bactérie est la première marche pour arriver à une solution durable. Si on arrive à couper la transmission du virus pour avoir la possibilité de diminuer la présence du moustique, c’est bien mais il ne faut pas s’arrêter là."

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