Migraines : l'impact sous-estimé de cette maladie sur les fonctions cognitives
Publication validée par
Sabine Debremaeker présidente de l'association "La voix des migraineux"
Dans la migraine, la douleur est la phase émergée de l’iceberg. En dessous, se cache un fardeau bien plus profond : isolement social, épuisement, ou encore sentiment de culpabilité. Ce sont toutes les sphères sociales, psychologiques et physiques qui sont impactées. Une récente enquête menée par l’association La Voix des Migraineux et présentée le 20 septembre lors du Sommet francophone de la migraine met en lumière une autre conséquence de cette maladie chronique : les troubles cognitifs.
La migraine touche près de 15 % de la population mondiale. « Chaque patient vit avec un "seuil migraineux", une sorte de niveau de tolérance qui, une fois franchi, déclenche la crise. Fatigue, stress, environnement bruyant ou lumineux, variations hormonales ou même un simple manque d’hydratation… autant de facteurs qui, isolés ou cumulés, peuvent précipiter l’épisode », explique le Dr Matthieu Rutgers, neurologue à Bruxelles.
Une maladie qui touche surtout les femmes
Cette maladie chronique présente une forte disparité entre les genres. Selon les chiffres de l’association La Voix des Migraineux, trois femmes sont concernées pour seulement un homme. Une différence en lien étroit avec les fluctuations hormonales. « Les œstrogènes interviennent dans les mécanismes cérébraux de la migraine. Ils activent certaines zones du tronc cérébral, propagent le courant électrique responsable de l’aura, et accentuent la sensibilisation du système nerveux ainsi que la modulation de neurotransmetteurs impliqués dans la douleur », explique le Dr Virginie Corand, neurologue, membre de la Société française d’étude des migraines et céphalées. À l’inverse, la testostérone pourrait avoir des effets protecteurs.
Pour mesurer l’impact de cette maladie sur le quotidien des patients, La Voix des Migraineux a réalisé, en juin et juillet 2025, une enquête auprès de 1 095 migraineux chroniques et sévères, dont 64 % déclarent plus de huit jours de crise par mois. Dans la majorité des cas, même sous traitement, ces crises durent plus de deux heures, et parfois plusieurs jours.
Résultat : neuf patients sur dix déclarent être privés d’activités sociales au cours des six derniers mois. Et 91 % disent avoir régulièrement des difficultés à surveiller leurs enfants. Concernant la culpabilité, même constat : huit patients sur dix avouent en souffrir envers leurs proches. Quant à l’état psychologique et émotionnel, 84 % des patients évoquent un épuisement fréquent ou permanent.
Les troubles cognitifs, un impact méconnu
Mais un autre résultat mérite toute notre attention : les troubles cognitifs. L’enquête révèle que 86 % des patients déclarent rencontrer des difficultés d’attention et 81 % des problèmes de mémoire. Ces troubles cognitifs persistants se traduisent aussi par des difficultés de concentration, un langage parfois perturbé et des interactions brouillées. Des symptômes qui affectent considérablement la vie professionnelle et sociale.
Pour les spécialistes, ces troubles varient en fonction des phases de la migraine. « Pour l’instant, la plupart des tests cognitifs régulièrement utilisés en clinique ne détectent pas les difficultés cognitives décrites par les patients. Une étude de l’équipe du Dr Seng, en mai 2025, a utilisé une application pour tester 19 personnes, cinq fois par jour pendant plusieurs semaines. Elle a montré que la mémoire et l’attention baissent lors des céphalées », explique lors du Sommet la Dre Olivia Begasse de Dhaem, neurologue spécialisée dans les céphalées à Stamford (Connecticut) et vice-présidente du Global Patient Advocacy Coalition for Headache.
Selon cette spécialiste, plusieurs mécanismes pourraient expliquer le lien entre migraine et cognition. « La douleur mobilise des ressources cérébrales communes aux tâches cognitives, réduisant leurs performances ; des études montrent une activité cérébrale altérée pendant le prodrome et des différences structurelles dans des zones clés (hippocampe, cortex orbitofrontal). Enfin, l’aura et la migraine chronique pourraient s’accompagner d’un moindre drainage du système d’évacuation des déchets du système nerveux central », ajoute-t-elle.
Maladie d’Alzheimer et migraine : un lien étudié
Difficile d’aborder les troubles cognitifs sans penser à la maladie d’Alzheimer. « Onze études ont montré qu’il n’y avait pas de lien entre la migraine et un risque de développer la maladie d’Alzheimer. Certaines ont même suggéré que la migraine serait protectrice. En ce qui concerne les trois études qui suggéreraient une association, celle-ci serait plus marquée chez les femmes et les personnes qui ont de l’aura migraineuse. Mais nous avons besoin de plus de données pour étudier la question », rassure la Dre Olivia Begasse de Dhaem.
« La migraine reste une maladie invisible et toujours mal comprise, alors qu’elle bouleverse profondément la vie de millions de personnes. Il est urgent de la reconnaître comme un handicap à part entière afin d’en finir avec la stigmatisation et de permettre une prise en charge adaptée. Sans cette reconnaissance, trop de patients continueront à subir en silence ses impacts sur leur santé, leur famille, leur scolarité et leur vie professionnelle », alerte Sabine Debremaecker, présidente de La Voix des Migraineux.
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Conférence de presse, 5ème Sommet Francophone de la migraine