Journée mondiale contre le cancer 2025 “Le cancer est un événement majeur dans un parcours de vie, pour soi mais aussi pour l’entourage”Istock
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MEDISITE : Pourquoi le cancer fait-il toujours aussi peur ?

Pr Eric Solary : Même si on guérit 60 % des cancers, cela reste une maladie mortelle dans 40 % des cas. Cela fait beaucoup. De plus, cette moyenne révèle des réalités disparates, certains cancers se soignent très bien, d’autres beaucoup moins.

Les cancers du pancréas, du foie, de la vésicule biliaire, de l'œsophage, les leucémies aiguës ou les tumeurs cérébrales sont des cancers généralement agressifs et restent de mauvais pronostic (survie à 5 ans inférieure à 30 %, NDLR). Le cancer du poumon aussi, même si on a fait beaucoup de progrès du côté des traitements. Les cancers du sein, de la prostate, de la thyroïde et dans une certaine mesure les mélanomes sont au contraire des cancers qui affichent des chances de guérison de l’ordre de 70 %. Et puis il y a les cancers intermédiaires, qui oscillent entre 30 % et 70 %, ce sont les cancers ORL par exemple, ou le cancer colorectal.

“On s’intéresse depuis peu à l’après-cancer, car la stratégie était auparavant d’agir vite et fort pour sauver les malades.”

On espère qu’à l’horizon des années 2035-2040, on arrivera, tous cancers confondus, à 75 % de guérison. Par rapport aux chiffres d’il y a 40 ans, c’est énorme, on gagne du terrain en permanence.

Malheureusement, le cancer gagne lui aussi du terrain. On estime que le nombre de cas va grimper de 20 % dans les vingt prochaines années, à cause du vieillissement de la population mais aussi parce qu’il va devenir plus courant d’avoir plusieurs cancers.

Comment ça, “plusieurs cancers” ?

Parce qu’on les soignent mieux, que l’on allonge le temps de vie post-cancer, on augmente aussi de facto les risques de nouveaux cancers, on ne parle pas forcément ici de récidive d’un premier cancer. De plus, certains cancers peuvent se chroniciser dans le temps.

Ces chiffres peuvent expliquer à eux seuls la crainte de tous à l’égard du cancer ?

Non. Le cancer est une maladie complexe, les traitements sont lourds, cela fait peur. C’est un événement majeur dans un parcours de vie, pour soi mais aussi pour l’entourage.

A cela s’ajoutent des effets secondaires importants après la maladie, les séquelles physiques ou mentales (une fatigue résiduelle, une sorte de vieillissement général un peu prématuré, les cicatrices, un handicap parfois après certains cancers comme les sarcomes) et le risque d'un nouveau cancer, alimenté en partie par les traitements.

On s’intéresse depuis peu à l’après-cancer, car la stratégie était auparavant d’agir vite et fort pour sauver les malades. Avec les progrès, on essaie aujourd’hui d’intégrer dans la prise en charge la suite, après la maladie. On peut ainsi envisager ce que l’on appelle une “désescalade thérapeutique”. Il s’agit de traiter plus en finesse, avec des combinaisons qui génèrent moins d’effets secondaires à long terme pour prendre en compte le confort de vie après le cancer.

Quelles sont les innovations médicales, les avancées les plus marquantes de ces dernières années ?

Les dernières grosses avancées thérapeutiques sont indiscutablement les immunothérapies. Elles sont apparues il y a une quinzaine d’années et ont révolutionné la prise en charge. Elles présentent plusieurs avantages, elles sont efficaces, elles produisent souvent moins d’effets secondaires (à court et long termes) et elles sont plus faciles à gérer. Mais surtout, les immunothérapies sont un outil supplémentaire, qui s'ajoute aux autres. On peut ainsi combiner plusieurs traitements (immunothérapie + chimiothérapie par exemple) pour personnaliser nos approches, agir de manière ultra précise.

Nous connaissons aujourd’hui une grande variété de sous-groupes de cancers, nous n’avons plus une approche thérapeutique par organe, comme cela a été le cas pendant longtemps, mais plutôt par définition biologique ou moléculaire. On peut apporter des réponses au cas par cas, ou presque.

Quelles sont les pistes explorées pour améliorer le dépistage ?

Un pas important va être franchi cette année en ce qui concerne le dépistage du cancer

du poumon qui va être proposé pour les personnes à risque. C’est une très bonne nouvelle. Pour d’autres cancers, le cancer du sein notamment, où l’adhésion au dépistage est faible en France (moins d’une femme sur deux fait sa mammographie, NDLR), nous travaillons sur un meilleur ciblage qui permettrait selon les profils de prévoir un dépistage annuel ou plutôt quinquennal, etc. Une large étude européenne est actuellement en cours, on devrait avoir les résultats d’ici deux à trois ans.

Pour cette Journée mondiale contre le cancer, la Fondation ARC souhaite aussi mettre l’accent sur le dépistage du cancer colorectal, qui reste très faible, de l’ordre de 37 % seulement. Nous avons mené une petite enquête qui montre que le principal frein est la peur du résultat. Le test en lui-même est perçu comme “rapide et facile”. Nous lançons donc une nouvelle campagne d’information via WhatsApp qui va permettre aux proches de rappeler à ceux qu’ils aiment l’importance de ce dépistage, car il sauve des vies.

Comment lutter contre la disparité des soins sur le territoire ?

C’est un vaste problème, nous manquons à l’heure actuelle de médecins. Mais nous ne sommes pas les plus mal lotis d’Europe, car nous disposons de services de cancérologie à la pointe sur l’ensemble du territoire, et chacun peut avoir accès aux nouveaux médicaments. On peut toujours faire mieux malgré tout.

Ce qui pêche surtout, c’est le volet préventif du cancer. Si tout le monde disposait d’un médecin traitant et si les médecins traitants disposaient à leur tour de suffisamment de temps, on pourrait envisager à plus grande échelle une consultation spécifique plus longue, à certains âge de la vie, orientée vers la prévention du cancer. Qui mieux que le médecin traitant connaît les habitudes de vie et est écouté par ses patients ?

Sources

Interview du Pr Eric Solary, hématologue et directeur de la recherche à Gustave Roussy (Villejuif, 94), Vice-Président de la Fondation pour la recherche sur le cancer (ARC)

https://www.fondation-arc.org/ 

https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers