Avant qu’on ne m’apprenne que j’avais un cancer, je sentais une boule dans la gorge. Je suis allée voir les médecins qui m’ont tous dit « c’est parce que vous êtes anxieuse, c’est le stress, c’est parce que vous n’avez pas de mari… ». Pourtant, un jour, c’était devenu vraiment étrange comme sensation, c’était comme si cette boule s’était installée en poussant tout le reste. A l’hôpital, ils m’ont fait faire des analyses qui étaient très bonnes. Mais au fond de moi, je sentais bien que quelque chose clochait. Aussi, j'ai insisté pour me faire opérer de la thyroïde et c'est au réveil de l'opération que j'ai appris mon cancer.

Je n’ai pas compris tout de suite ce qui m’arrivait

Quand le chirurgien est entré après l’opération, il a demandé à tout le monde de sortir. J’ai tout de suite su ce qu’il allait me dire, parce que c’est ce que je lui avais demandé de faire si le diagnostic était mauvais. La nouvelle n’est pas rentrée dans ma tête. J’ai écouté, mais je n’ai pas compris. Il a été assez vague, il n’a pas dit le mot « cancer », ce qui m’a bien arrangée. J’ai complètement refusé l’idée, je me suis dit que ce n’était pas vrai. J’étais dans le déni le plus total.

On n’a pas envie de garder son cancer pour soi, mais on n’a pas envie de le voir dans les yeux des autres non plus. Donc je ne l’ai dit qu’à un seul ami, qui s’est chargé de le dire à qui il estimait que c’était nécessaire pour expliquer mon comportement un peu bizarre. J’ai pensé le dire à mes parents, mais rien que de l’imaginer c’était atroce. Jusqu’ici, nos principaux soucis c’était mon célibat, et que je ne parvenais pas à perdre mes deux kilos en trop. Un cancer, c’était trop douloureux.

Faire n’importe quoi pour oublier l’élément le plus stressant de sa vie

Le pire dans le cancer, c’est l’incertitude. On vous prend, on vous enlève une partie du corps, que vous avez fabriquée et qui peut vous tuer. Et puis après, on vous laisse en pleine nature en vous faisant des analyses tous les trois mois. Entre deux analyses, vous ne savez pas si les prochaines ne vont pas vous condamner. Pour la thyroïde, on met sept jours avant d’avoir le résultat. On vous prélève du sang le lundi, et vous avez une semaine pour y penser avant de savoir si tout va bien. Mon problème c’était ça : je n’arrêtais pas de penser à mes analyses, en me disant que, si ça se trouve, je vivais mon dernier jour alors que j’étais là, à faire des trucs inutiles. Je me disais : « tu te couches à 22 heures, tu n’as pas de vie alors que tu vas peut être mourir ».

J’ai fait n’importe quoi pour oublier l’élément le plus stressant de ma vie. J’étais dans le déni, j’avais conscience de ce qui m’arrivait, mais je ne voulais pas en entendre parler. Pour ne pas y penser, je m’occupais les journées en allant au travail. Il a fallu que je trouve quelque chose pour la nuit aussi. Les boîtes de nuit étant ouvertes, j’ai pensé que c’était une bonne alternative. Le vendredi après mes premières analyses, je suis sortie pour faire taire ma peur. Ma première sortie, c’était toute seule. Après j’ai rencontré des gens, on ne se voyait que la nuit. C’était un groupe un peu dysfonctionnel, des gens qui ne se voyaient que pour sortir. On ne parlait pas de qui on était, on était juste là pour faire la fête.

Je me suis surendettée parce que je ne me suis privée de rien. Je me suis dit que je n’allais quand même pas me priver de quoi que ce soit, alors que j’allais peut être mourir deux mois après. Je vivais avec la peur au ventre, mais j’ai décidé de profiter de mon cancer pour vivre tout ce que j’avais envie de vivre. Du coup j’étais bien endettée. Ca a aussi changé ma vie de ne pas avoir d’argent. Je me suis retrouvée sans eau, sans électricité, sans rien. Tout ça, ça m’aide à voir les choses différemment. Maintenant je sais que je n’ai pas besoin de grand-chose pour vivre.

L’effet secondaire du cancer, c’est l’amour de la vie

On ne maîtrise pas l’issue de son cancer. On peut avoir envie de vivre et mourir, ou on peut boire trois litres de pastis par jour et vivre jusqu’à 100 ans après trois cancers. Il y a une forme d'injustice dans cette maladie. Je ne vais pas non plus remercier mon cancer, je m’en serais bien passée... Mais il a eu l'effet secondaire de me faire découvrir que j’avais de la chance de voir le soleil tous les jours, de me remettre d’aplomb avec ce que je voulais vivre, moi.

Au bout d’un moment, j’en ai eu marre de sortir, j'en avais fait le tour. Aujourd’hui, je ne vais plus en boîte de nuit. Ça ne m’empêche pas de sortir, mais j’ai une vie bien rangée. J’ai 39 ans, je me suis mariée, j’ai rencontré un homme qui a une patience infinie. Il a assuré la transition entre cette période d’évaporation totale et ce retour à la vie normale. A la fin d’un cancer, on est habitué à être dans le milieu médical, à avoir peur mais à être rassuré. Là, on nous lâche jusqu’à la prochaine analyse. Surtout que, pour les cancers hormonaux, c’est difficile de parler de guérison parce que ça peut revenir des années après, donc on continue à faire des tests tous les ans.

L’effet secondaire du cancer, c’est l’amour de la vie. Avant un cancer ou toute autre épreuve, on considère la vie comme acquise, que tout est dû. Quand on est malade on se rend compte qu’on a de la chance de vivre, même si la prise de conscience n’est pas immédiate. Donc, une fois le traitement terminé, j’ai changé de vie, j’ai changé de métier. J’ai encore du mal à faire des projets sur le long terme, parce que je sais que n’importe quoi peut arriver n’importe quand. J’ai lu des choses comme « le cancer m’a sauvé la vie », moi il m’a plutôt sortie de ma vie planifiée, douce, prévisible... pour me faire retomber à zéro.

Si j’ai décidé d’écrire un livre, c’est parce que, quand j’ai eu ce cancer et que j'ai traversé cette période un peu rock’n’roll, j’aurai aimé lire un livre qui ne soit pas un récit de souffrance et de victoire à la fin. Je voulais quelque chose de plus emporté, de plus décalé. J’aurais eu besoin de lire quelque chose qui montre qu’on se détache de tout. Dancefloor thérapie, c’est une période un peu punk de ma vie.

Elisabeth Brousse est l'auteure de Dancefloor thérapie , éditions Michel Lafon, 17,95 €.

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