

Thriller, enquête ou roman policier : chaque année, en France, un roman vendu sur cinq est un polar, ce qui correspond à environ 15 millions d’exemplaires en 2023. À la télé ou sur les plateformes, même constat : les tueurs captivent les téléspectateurs. Mais pourquoi un tel engouement ? « Ces histoires font irruption dans notre quotidien avec une intensité qui bouleverse nos repères. Elles mettent en scène l’inimaginable au cœur de l’ordinaire, et face à l’horreur, l’esprit cherche à comprendre. C’est une manière de remettre de l’ordre là où règne le chaos », explique Johanna Rozenblum, psychologue clinicienne et auteure.
Les faits divers éveillent des émotions fortes : peur, empathie, colère. Ils fonctionnent comme une catharsis moderne, une manière de traverser symboliquement le drame sans en être victime. « Ces histoires disent quelque chose de nous : elles révèlent les peurs collectives, les failles sociales, et questionnent notre rapport à la justice, à la vérité et à la violence », dit Johanna Rozenblum.
Explorer le mal dans un cadre banalisé
Si les récits effrayants captivent autant, c’est parce qu’ils permettent de plonger dans l’ombre tout en gardant le contrôle. « On explore l’interdit, la peur, la violence, mais dans un cadre balisé, avec souvent une résolution à la clé. C’est rassurant : le mal, ici, peut être compris, nommé, parfois même réparé », explique la psychologue clinicienne. Le polar agit donc comme une forme de thérapie qui canalise nos angoisses.
Selon une étude réalisée par Babelio en février 2025, toutes les tranches d’âge sont touchées par ce phénomène de lecture. « Il en existe pour tous les goûts. Certaines personnes entrent dans ma librairie et recherchent des histoires sanglantes, d’autres s’intéressent à quelque chose de plus domestique, comme les romans policiers de l’autrice Barbara Abel », souligne Marie Gaudefroy, directrice de la librairie Martelle à Amiens.
« Notre cerveau est naturellement attiré par ce qui sort de la norme, surtout quand cela touche au danger ou à la transgression »
Les personnes interrogées dans l’étude Babelio mettent en avant cinq arguments pour justifier l’engouement pour ce type de lecture : l’intrigue, la résolution d’énigmes, la psychologie, l’activation de sensations fortes et la critique de la société.
Un moyen de réguler l’angoisse, de comprendre le mal pour le garder à distance
D’un point de vue psychologique, cette fascination pour les faits divers ou les récits criminels active plusieurs mécanismes. D’abord, la curiosité. « Notre cerveau est naturellement attiré par ce qui sort de la norme, surtout quand cela touche au danger ou à la transgression », analyse la spécialiste. « Ensuite, l’identification : en se projetant dans ces histoires, on explore nos propres peurs, nos limites, parfois nos zones d’ombre, sans risque réel », ajoute-t-elle. C’est un moyen de réguler l’angoisse, de comprendre le mal pour mieux le tenir à distance et de garder le contrôle. En décortiquant les mécanismes du crime, on se rassure inconsciemment sur notre propre sécurité ou notre “normalité”.
La fascination pour les récits criminels est étroitement liée à l’angoisse de mort, qui habite chacun de nous de manière plus ou moins consciente. « Ces histoires nous confrontent à la mort violente, brutale, souvent absurde, et en cela, elles réveillent nos peurs les plus profondes. »
Attention à la désensibilisation émotionnelle
Attention cependant : une exposition répétée à la violence peut avoir des conséquences psychologiques. « La violence peut entraîner une forme de désensibilisation émotionnelle, et donc une baisse d’empathie », avertit la psychologue clinicienne.
Si vous souhaitez vous lancer dans cette aventure du polar, rien de mieux qu’un week-end prolongé. Voici un diaporama de huit suggestions de lecture pour les personnes en manque d’inspiration.
Le Crime de l’Orient-Express, aux éditions Le Livre de Poche, 7,90 €

Le Crime de l’Orient-Express est une enquête à huis clos : un homme est assassiné une nuit dans un compartiment de train bloqué par la neige, dont personne n’a pu entrer ni sortir. Un classique d’Agatha Christie.
La Femme de ménage, aux éditions City, 8,60 €

La Femme de ménage est le premier roman d’une trilogie écrite par Freida McFadden, écrivaine et médecin praticienne américaine, spécialisée dans les lésions cérébrales.
Le Faucon maltais, chez Gallimard, 8,50 €

Le Faucon maltais est un roman policier publié en 1930. Il s’agit de l’un des chefs-d’œuvre du roman noir.
La Nuit du renard, aux éditions Le Livre de Poche, 7,90 €

La Nuit du renard est un roman policier américain de Mary Higgins Clark.
Enquête dans le brouillard, aux éditions Pocket, 8,70 €

Ce roman policier est une enquête captivante d’Elizabeth George, qui met en scène deux personnages que tout oppose mais qui n’ont pas d’autre choix que de collaborer.
Le Chant du bourreau, éditions Robert Laffont, 15 €

Le Chant du bourreau est un roman de l’écrivain américain Norman Mailer, inspiré de la vie et des témoignages de proches de Gary Gilmore. Il fut récompensé par le prix Pulitzer en 1980.
L’Adversaire, aux éditions P.O.L, 8 €

L’Adversaire est un récit d’Emmanuel Carrère consacré à l’affaire Romand. Il a marqué en France un tournant de la littérature vers le genre dit de la non-fiction.
La Femme en vert, aux éditions Points, 8,95 €

La Femme en vert est un roman policier islandais d’Arnaldur Indriðason.
Interview avec Johanna Rozenblum, psychologue clinicienne et auteure
Interview avec Marie Gaudefroy, directrice de la librairie Martelle à Amiens
Etude Babelio 2025