« Grâce à leur présence, le temps paraît moins long » : l’étonnante cohabitation entre une start-up et des seniors à l’Ehpad de Montmartre
En attendant l’heure du déjeuner, Maryse, raquette à la main, s’essaye à une partie de ping-pong. À 95 ans, l’ancienne professeure d’anglais ne manque pas un rendez-vous avec « ses jeunes », comme elle dit si bien. « Ils sont adorables. C’est un plaisir de profiter de leur compagnie au quotidien », sourit-elle. Aux Jardins de Montmartre, un Ehpad coincé entre deux rues pavées du XVIIIe arrondissement, tout près du Sacré-Cœur, l'ambiance n’a rien d’un mouroir. Des cliquetis de claviers résonnent depuis la salle commune. Une odeur de café flotte dans le couloir. Ici, la vie des résidents a changé depuis l’arrivée des neuf salariés de la start-up Zenior.
Depuis huit mois, l’équipe a installé ordinateurs, carnets de notes et idées à foison en plein cœur de la résidence, dans une salle attenante au grand séjour. Casque sur les oreilles, les yeux rivés sur leur écran, les employés profitent d’un espace de coworking inhabituel. Chaque pause correspond à un salut, un échange avec un résident, parfois une main tenue, un service rendu. Quand les salariés de Zenior ouvrent la porte, une poignée de résidents lève immédiatement la tête.
Cette cohabitation insolite n’est pourtant pas le fruit du hasard. « On la doit à Arbitryum, une société qui propose une méthode d'accompagnement personnalisé en gérontologie, convaincu que les Ehpad peuvent redevenir des lieux de vie ouverts et connectés à la société », raconte Antoine Bonin, cofondateur de la start-up. L’idée : profiter des pièces inutilisées des établissements pour accueillir de petites entreprises. « Cela permet aussi d’avoir un regard différent sur ces établissements », défend-il.
Aux Jardins de Montmartre, la directrice Cassandre Flattin-Richard n’a pas hésité une seconde. Elle rêvait d’un Ehpad qui ne soit pas un monde clos. « Je veux que les gens arrêtent d’associer Ehpad et fin de vie. J’imagine un espace commun avec des services, un jardin, du passage », partage-t-elle à nos confrères d'Ici Paris. Avec Zenior, elle a trouvé un début de réponse. Et pas seulement sur le plan humain. Le loyer versé par la start-up sert à financer des services pour les soignants, comme des séances de massage et l’amélioration de l’espace de repos.
Des bureaux abordables… mais surtout du sens
Pour Zenior, l’expérience est loin d’être symbolique. Au-delà du cadre chaleureux, l’installation répond à un besoin très concret : trouver des bureaux accessibles. À Paris, le loyer de 500 euros mensuels pour neuf postes de travail relève de l’exception. Mais le vrai bénéfice s’observe au quotidien. « L’équipe accompagne les aidants dans le choix de solutions concrètes pour leurs parents », souligne Johan Zuzarte, responsable marketing, habillé de la mascotte de l’entreprise. Quoi de mieux qu’un Ehpad pour y installer ses bureaux ?
Dès leur début dans l’entreprise, chaque salarié s’est formé aux réalités du terrain grâce à une initiation express : utilisation du fauteuil roulant, comportement à adopter face aux troubles cognitifs, règles d'hygiène, alimentation des seniors. Une immersion impossible dans un bureau traditionnel.
Des liens qui se tissent naturellement
Très vite, le lien social entre les seniors et l’équipe s’est tissé sans forcer. « En huit mois, on a appris à connaître les résidents. Ils viennent nous dire bonjour ou on les croise dans la salle commune », souligne Antoine Bonin. Au grand plaisir de Maryse. « Quand on se croise, on discute. Grâce à eux, le temps paraît moins long », raconte-t-elle.
Lorsqu’ils s’absentent, la salle de vie reprend sa fonction habituelle : réunions ou ateliers. C’est le cas de ce matin avec cet échange de balle improvisé entre Maryse et trois résidents de l’Ehpad, non loin d’un piano à queue qui trône dans la pièce.
Une initiative qui essaime
L’initiative prend doucement de l’ampleur. Trois résidences parisiennes accueillent déjà des entreprises, et deux autres s’apprêtent à franchir le pas dans les prochains mois. Dans le XXe arrondissement, l’Ehpad des Terrasses cherche encore ses futurs locataires : huit postes disponibles pour 200 euros mensuels chacun. Un prix imbattable, mais surtout une promesse : rapprocher deux mondes que tout semble opposer.
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Reportage au sein des Jardins de Montmartre à Paris.