

Après les PFAS et les pesticides, une autre molécule chimique cancérigène fait parler d'elle : le chlorure de vinyle monomère. La liste des communes françaises où l'eau du robinet est contaminée par cette substance s’allonge. Ce scandale sanitaire, révélé dans une enquête le 16 janvier, touche de plein fouet quelques centaines de milliers de personnes à travers l’Hexagone.
Pour comprendre l’ampleur de ce scandale, un petit retour en arrière s’impose. Cette substance chimique, sous forme de gaz, est utilisée dans la fabrication du PVC. Dans les années 1970, les canalisations publiques contenant cette matière ont été largement déployées sur le territoire pour remplacer celles à base de plomb. Or, la toxicité de ce produit était connue depuis les années 1930.
Eau contaminée, un scandale sanitaire majeur
À cette époque, des chercheurs observent des pertes de conscience ou des congestions d'organes, notamment du foie, sur des rats exposés à cet agent chimique. Dans les années 1940, les premiers cas d'inflammation de cet organe sont identifiés en URSS sur des ouvriers. Vingt ans plus tard, d’autres études signalent des cas d’acro-ostéolyse, une maladie osseuse rare, chez 168 travailleurs.
Face à la dangerosité de ce gaz, en 1987, le Centre international de recherche sur le cancer ainsi que l’Organisation mondiale de la santé prennent des mesures et classent ce polluant comme cancérigène. Selon les deux institutions, une exposition forte et prolongée à ce gaz favorise l’apparition de deux formes de cancer du foie : l’angiosarcome hépatique et le carcinome hépatocellulaire.
En 1998, l’Union européenne se saisit du sujet et renforce la réglementation. Elle impose un taux maximum d'exposition à 0,5 microgramme par litre d’eau. Cependant, la France attendra pour effectuer les premiers contrôles, supervisés aujourd’hui par les Agences régionales de santé. « Alors que l’État français aurait dû mettre en place des mesures visant à éviter ces dépassements, la première campagne systématique visant à détecter la présence de cette substance dans l’eau du robinet ne date que de 2011 », précise Gaspard Lemaire, chercheur en sciences politiques qui a révélé ces résultats.
Carte de pollution : 140 000 kilomètres de canalisations françaises touchées
Dans son enquête publiée le 16 janvier, dont les résultats ont été transmis aux médias Le Monde, France Culture, Reporterre, Politis et Envoyé spécial, neuf régions françaises ont identifié 6 410 non-conformités entre 2014 et 2024. Des dépassements de taux atteignent jusqu’à 1 400 fois le seuil fixé par la réglementation européenne dans certaines communes. Le gaz affecterait 140 000 kilomètres de canalisations en France.
Selon le chercheur, les zones rurales sont les plus exposées. Dans les petites communes, les emplacements des maisons en bout de réseau favorisent la stagnation de cette molécule dans les tuyaux. Mais cela concerne uniquement les canalisations déployées avant 1980. Dans son enquête, le chercheur rassure : « Aujourd'hui, les tuyaux plastiques posés après 1980 contiennent une quantité de CVM insignifiante, qui n'est pas dangereuse pour l'homme. »
Où l'eau n'est pas potable en France ?
Selon une note de position de l’Institut de veille sanitaire publiée en 2010, 600 000 personnes seraient concernées par des niveaux de cette molécule dans l'eau non conformes. L’association de lutte contre le CVM déplore le manque de transparence des ARS. « Les résultats des prélèvements ne sont pas toujours communiqués aux habitants, même quand l'eau n'est pas potable. Aujourd'hui, en France, des personnes ignorent être contaminées au CVM », alerte, à France Culture, la cofondatrice de l'association, Catherine Hergoualc'h.
« Nous, ce que l'on souhaite, c'est obtenir des réponses. Chacun doit pouvoir recevoir les résultats des prélèvements effectués par les fournisseurs d'eau à son robinet. Pour les personnes qui s'interrogent sur la qualité de leur eau, il est possible de demander une analyse à son foyer, en écrivant une lettre recommandée avec accusé de réception à la préfecture », ajoute, à France Culture, Catherine Hergoualc'h.
Quelles sont les régions touchées par la contamination de l'eau du robinet ? Réponse dans le diaporama.
Nouvelle-Aquitaine

En Nouvelle-Aquitaine, les analyses de 121 prélèvements indiquent des taux de CVM supérieurs à 5 μg/L, avec un pic à 738 μg/L, soit plus de 1 400 fois le seuil légal pour la commune de Val de Louyre et Caudeau. « Le nombre total de non-conformités est de 2 188 pour cette région, ce qui n’est guère étonnant, étant donné que 44 000 km de réseau en PVC y ont été posés avant 1980 ou sont de date de pose inconnue, dont plus de 2 000 km où le temps de contact de l’eau avec les canalisations est supérieur à 48 heures », précise Gaspard Lemaire dans son enquête.
Normandie

En Normandie, plus d’une centaine de prélèvements indiquent également des taux de CVM supérieurs à 5 μg/L, avec un maximum à 9,97 μg/L dans la commune de Grangues. Au total, 2 792 non-conformités ont été constatées dans cette région. « L’Orne est le département le plus touché, avec 1 196 dépassements constatés. »
Bourgogne-Franche-Comté

Pour la région Bourgogne-Franche-Comté, 490 dépassements sont avérés, avec un pic à 74 μg/L dans la commune d’Arc-sur-Tille. « La Nièvre et la Saône-et-Loire sont les départements les plus touchés dans cette région, avec respectivement 92 et 83 dépassements identifiés. »
Auvergne-Rhône-Alpes

En Auvergne-Rhône-Alpes, le nombre de dépassements confirmés atteint 445, avec un pic à 26 μg/L dans la commune d’Astet. Avec 125 et 120 cas, l’Ardèche et le Cantal sont les départements les plus touchés dans cette région.
Provence-Alpes-Côte d’Azur

La Provence-Alpes-Côte d'Azur s'avère être la région qui dénombre le moins de cas, avec 177 non-conformités identifiées. Cependant, le niveau maximal de dépassement atteint 239,4 μg/L dans la commune de Saint-Paul-de-Vence.
Bretagne

Pour la région Bretagne, 134 dépassements de seuil ont été confirmés, avec un maximum de 25,23 μg/L au sein de la commune de Lannédern.
Grand Est

Dans la région Grand Est, 150 dépassements ont été observés, avec un pic à 41,2 μg/L dans la commune d’Aulnay-l’Aître.
Hauts-de-France

Dans les Hauts-de-France, une dizaine de dépassements de seuil ont été observés. Le chercheur note néanmoins que « plusieurs centaines de prélèvements sont d’un niveau de précision insuffisant pour garantir la conformité de l’eau ».
Corse

« La Corse semble en revanche épargnée par les contaminations », précise Gaspard Lemaire.
Pays de la Loire

"La plupart des Agences Régionales de Santé qui ont refusé de communiquer leurs données sur le CVM, en dépit de leurs obligations légales en la matière, sont situées dans ces régions Pays de la Loire, Centre-Val de Loire, et Occitanie. Ainsi, une large partie des dépassements constatés à ce jour demeurent pour l’instant connus des seuls services de l’Etat", conclut Gaspard Lemaire.