Chips : la science du croustillant, ou comment l’industrie fabrique notre dépendance

Publié par Elodie Vaz
le 25/03/2025
happy african american man holding plate of chips and eating snacks from potatoes on yellow isolated background, guy in white t-shirt eats fast food
Istock
Derrière leur apparente légèreté, les chips dissimulent une mécanique redoutablement efficace. Tout concourt à rendre l’arrêt presque impossible. Enquête sur un aliment emblématique de l’ultra-transformation, pensé pour être consommé jusqu’à la dernière miette.

Croustillantes, fondantes et omniprésentes lors des apéritifs, les chips ont ce pouvoir singulier de nous faire saliver avant même d’avoir été goûtées. On pense n’en manger qu’une poignée, parfois moins. Une promesse rarement tenue. Car si ces fines tranches de pommes de terre disparaissent si vite, ce n’est pas un hasard. L’industrie agroalimentaire les a conçues pour qu’il n’en reste pas une miette. Depuis quelques années, ce mécanisme très élaboré intrigue les scientifiques. Une étude publiée en octobre 2023 dans le British Medical Journal révèle ainsi que 14 % des adultes seraient dépendants aux aliments ultra-transformés.

Menée dans 36 pays et s’appuyant sur plus de 280 études, cette analyse pointe du doigt l’effet addictif de produits comme les chips, comparable à celui de la nicotine, de la cocaïne ou encore du sucre. Une dépendance qui ne relève donc pas uniquement du manque de volonté individuelle, mais de processus biologiques précisément ciblés.

Les chips activent la sécrétion de dopamine

Au cœur de cette mécanique, la dopamine. La consommation d’aliments ultra-transformés déclenche une sécrétion rapide de cette hormone du plaisir, aussitôt suivie d’une chute brutale. S’installe alors un cycle répétitif de désir, de satisfaction et de manque, proche de celui observé chez les personnes dépendantes à l’alcool ou aux drogues. « La combinaison de glucides raffinés et de graisses, souvent présente dans les aliments ultra-transformés, semble avoir un effet supra-addictif sur les systèmes de récompense du cerveau », analysent les chercheurs. « Ceci pourrait augmenter le potentiel addictif de ces aliments », précisent-ils.

Reste une question centrale : pourquoi est-il si difficile de s’arrêter après quelques chips ? Dans son ouvrage Nourriture, libre arbitre et comment les géants de l’alimentation exploitent nos addictions, le journaliste américain Michael Moss décrypte les stratégies mises en œuvre par les industriels. Selon lui, ces derniers manipulent nos instincts les plus primaires en créant des combinaisons de saveurs et de textures inexistantes dans la nature, capables de court-circuiter nos signaux de satiété.

Cette quête de l’efficacité ne s’arrête pas là. Les industriels s’intéressent aux gènes susceptibles de nous prédisposer à cette impulsion irrépressible de manger. Pour y parvenir, ils investissent massivement dans la recherche. « Frito-Lay, le fabricant des Doritos et d’autres chips connues aux États-Unis, dépensait chaque année des millions de dollars dans la recherche, dont 40 000 dans une machine imitant la mastication pour trouver le point de rupture parfait de la chips sous la dent et nous donner envie de croustiller de plus belle », indique La Dépêche dans une enquête consacrée à l’addiction à ces patates frites.

L’équilibre parfait pour nous rendre accros

Michael Moss n’est pas le seul à s’être penché sur le phénomène. En 2019, des journalistes de la RTBF se sont rendus dans le laboratoire d’un neurobiologiste allemand afin d’observer les ressorts de cette dépendance. Des rats ont été soumis à un choix simple : des croquettes classiques ou des chips. Et sans surprise, comme les humains, les rongeurs ont largement préféré ces dernières gourmandises. « Le secret vient en fait des proportions de nutriments présents : les chips contiennent 35 % de gras et environ 45 % de sucres. C’est en réalité l’équilibre parfait », expliquent nos confrères belges.

Mais alors, existe-t-il des alternatives à cette drogue ? Peut-on continuer à partager un apéritif sans céder aux pièges de l’ultra-transformation ? Alors que la malbouffe a très mauvaise presse et que l’obésité progresse dans de nombreux pays, les industriels ont décidé de surfer sur la vague de l’alimentation healthy. Des alternatives aux chips classiques envahissent petit à petit les rayons.

Des alternatives aux chips classiques

Les plus populaires : les chips de légumes. Mauvaise nouvelle, elles ne sont healthy que sur le papier. Pour Charles-Antoine Winter, diététicien et nutritionniste, ces produits diffèrent à peine des chips traditionnelles. « Ces légumes ont subi une cuisson forte, longue et immergée dans des corps gras. Et, en plus, on a rajouté beaucoup de sel. Finalement, la seule chose qu’on garde des légumes, c’est peut-être la richesse en fibres, mais tout ce qui est vitamines, minéraux et équilibre nutritionnel est perdu. »

Autre option mise en avant : les chips pauvres en graisses. Là encore, le bénéfice reste relatif. Certes, elles contiennent jusqu’à 70 % de lipides en moins, mais des sucres viennent compenser cette perte. « C’est plutôt moins pire que “plus mieux” », ironise le spécialiste.

Dans l’émission Grand Bien Vous Fasse sur France Inter, Anthony Fardet, ingénieur agronome à l’INRAE de Clermont-Ferrand, rappelle l’ampleur du phénomène. Environ 70 % de l’offre industrielle en France, en hyper- et supermarchés, est aujourd’hui ultra-transformée. « C’est de la chimie alimentaire à visée cosmétique. C’est une chirurgie esthétique des aliments, pour leur redonner une belle apparence, modifier le goût, la couleur, l’arôme ou la texture », explique-t-il.

Pour limiter les pièges, le chercheur recommande une vigilance accrue, notamment sur la liste des ingrédients. « Au-delà de cinq ingrédients dans la liste au dos d’un aliment industriel, les scientifiques estiment une augmentation de 75 % des chances que l’aliment soit ultra-transformé. » Une règle simple, mais loin de suffire face à une industrie passée maître dans l’art de nous faire croustiller sans fin.

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