
C’est pas compliqué, dans ma colocation, on l’a tous eu ! Ma colocataire et moi en même temps, puis ma copine, mon frère, sa copine… Tout le monde y est passé. J’ai un couple d’amis, tous les deux infirmiers libéraux : en ce moment, ils passent leur temps à soigner des malades du chikungunya.
Nous vivons au Tampon, dans le sud de l’île de la Réunion. La semaine où je vous parle, il y a eu 4 000 nouveaux cas. C’est une épidémie de grande ampleur. Il y a des personnes hospitalisées, et même quelques morts, souvent des personnes âgées ou des nourrissons…
En kimakonde, “chikungunya” veut dire “homme courbé”
Comme on se fait piquer tous les jours, je ne sais pas trop comment je l’ai attrapé ! Récemment, le cyclone Garance a provoqué des inondations, et donc accentué l’humidité et les risques liés aux moustiques. Chez nous, il a frappé moins fort que dans le nord, mais c’est à cette période que j’ai senti les premiers symptômes.
Le matin du 24 février, je me suis réveillé avec une douleur au genou droit. Niveau sensation, c’est comme s’il était enflé, alors que visuellement, il ne l’était pas. J’étais incapable de le plier ! Le lendemain, mes chevilles et poignets étaient très douloureux. J'avais super mal, non pas comme des courbatures classiques, mais plutôt ciblées sur les articulations. Quand je marchais, j’avais l’impression que mes chevilles allaient lâcher. Je me sentais comme un vieillard, je marchais penché vers l’avant ! D’ailleurs, en kimakonde, “chikungunya” veut dire “homme courbé".
Ça m’a rappelé le Covid, car c’est des symptômes nouveaux
Ces symptômes ont duré deux jours. Puis pendant une semaine, j’ai eu des vertiges, des nausées, je dormais 13 heures par jour mais j’étais quand même fatigué. Après une semaine, j’étais sur pied, bien que je sois encore un peu fatigué parfois. Mais je sais que c’est assez aléatoire... Ma copine a encore quelques symptômes articulaires, et un ami se traîne une grosse fatigue depuis un mois.
Psychologiquement, c’est quand même un peu angoissant, surtout les vertiges. En fait, ça m’a rappelé le Covid, car c’est des symptômes nouveaux. Tu ne maîtrises pas, tu ne comprends pas ce qui t’arrive. J’avais beau avoir lu sur le sujet, et même avoir des amis infirmiers, c’est pas pareil de le vivre. Le fait d’avoir des gens autour de soi qui l’ont aussi eu, ça m’a quand même un peu rassuré sur les symptômes étranges. Quand on voit des plaques rouges et qu’on monte à 40 de fièvre, par exemple. Il ne faut pas paniquer, se dire que ça va passer. Le système immunitaire est fait pour ça !
Les créoles ont un “remède miracle” : (...) c’est infect, mais ça aide contre les douleurs !
Heureusement, à nos âges et dans nos conditions physiques, ça a été. L’avantage, c’est qu’une fois qu’on l’a eu, on est immunisé... En tous cas pour la saison, car comme d’autres virus, il y a toujours une possibilité de mutation. Par contre, il n’y a pas de traitement contre le chikungunya. On traite seulement les symptômes, avec du paracétamol par exemple.
Les créoles ont un “remède miracle” : ils infusent des feuilles de papaye dans l’eau froide pendant plusieurs minutes, puis ils boivent l’eau, sans les feuilles. Apparemment, c’est infect, mais ça aide contre les douleurs. Malheureusement, on m’a donné cette recette après-coup, je n’ai pas pu la tester. Mais ici, on écoute les anciens. Ils ont vécu l’épidémie de 2008, j’aime bien entendre leur expérience.
Le risque pour l’Hexagone existe.
Heureusement, des mesures sont prises pour tenter de contenir l’épidémie. L’ARS (Agence régionale de santé) est venue deux fois à la maison pour nous prévenir, et pour démoustiquer. Ils nous recommandent surtout de nous débarrasser des points d’eau stagnante, comme les pots de fleurs ou les vieux pneus à l’abandon. L’eau stagnante, c’est un nid à larves de moustiques, c’est là qu’ils pondent leurs oeufs. C’est pas évident pendant la saison des pluies… Sinon, on met de l’anti-moustique et on dort avec une moustiquaire. La raquette électrique, ça marche super bien !
L’avantage, c’est que le chikungunya ne peut pas se transmettre directement entre humains. Mais le risque pour l’Hexagone existe bel et bien. Il suffit qu’une personne contaminée voyage dans la métropole pendant sa période d’incubation, et qu’il se fasse piquer par un moustique là-bas. Le moustique sera alors porteur du virus, et peut le transmettre à son tour. C’est déjà ce qu’il s’est passé à l’île Maurice et à Mayotte.
Interview de Thomas M