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Le cancer reste la première cause de mortalité en France, tous sexes confondus. Traitements, dépistages, facteurs de risque… Ces dernières années ont marqué des évolutions, qui rebattent les cartes. Le Dr Elie El-Rassy, oncologue médical à l’Institut Gustave Roussy, répond à nos interrogations.

Pauline Boullet : Quels sont les cancers les plus meurtriers aujourd’hui en France ?

Dr Elie El-Rassy : Tout dépend du sexe. En 2023 chez l’homme, le cancer le plus meurtrier est celui du poumon avec 22 800 décès, suivi du cancer colorectal avec 9 200 décès, et du cancer de la prostate, avec 8 100 décès.

La même année, chez la femme, le cancer le plus meurtrier reste le cancer du sein, avec 12 100 décès. Viennent ensuite celui du poumon, avec 10 300 décès, puis le cancer colorectal, qui a fait 7 900 mortes.

PB : Comment expliquer les progrès dans certains cancers très meurtriers ?

EER : Ces deux cancers restent parmi les plus meurtriers en France, et ce depuis longtemps, mais leur mortalité est en baisse. Petite précision tout de même : chez la femme, la mortalité du cancer du poumon augmente toujours, à cause de la vague de tabagisme qui a touché cette catégorie de population ces dernières décennies, alors que les hommes, eux, ont tendance à moins fumer.

En réalité, l’évolution dans la mortalité de ces deux cancers s’explique par plusieurs facteurs. Déjà, la médecine a fait de grosses avancées dans le traitement de ces cancers, qu’ils soient localisés ou métastatiques, précoces ou avancés ! Mais ce sont surtout les progrès concernant le dépistage qui ont permis ce résultat. Ils interviennent de plus en plus tôt.

Pour le cancer colorectal, notamment, bien que l’incidence augmente encore chez la femme, les nouvelles méthodes de diagnostic (analyse du sang dans les selles) permettent de détecter les lésions pré-cancéreuses. Ainsi, nous parvenons à traiter ces polypes avant même qu’elles ne deviennent des cancers. Concernant le cancer du poumon, il ne peut pas être détecté à un stade pré-cancéreux. Mais il existe certains programmes, comme à l’Institut Gustave Roussy, qui permettent d’adapter le dépistage selon les facteurs de risque des patients, notamment le rapport entre le nombre de cigarettes fumées et l’âge.

Ça a été la même chose pour le cancer de l’estomac, qui était le plus meurtrier il y a de cela quelques décennies. Son incidence aujourd’hui reste importante, mais les dépistages précoces et une évolution dans la prise en charge ont nettement amélioré la survie. La science a notamment mis au point des traitements par anticorps conjugués, ou encore une chimiothérapie intelligente.

PB : Quel est le cancer à craindre le plus ces prochaines années ?

EER : Le cancer dont l’incidence et la mortalité augmentent le plus ces dernières années est le cancer du pancréas. C’est un cancer très meurtrier, duquel il est extrêmement peu probable de guérir pour le moment, même quand il est identifié tôt. Il n’existe pas de dépistage précoce en dehors d’un contexte familial particulier, et malheureusement, les techniques de traitement ne montrent pas encore des résultats assez satisfaisants.

Pour expliquer l’évolution du cancer du pancréas, l’hypothèse étudiée actuellement est celle des changements dans nos modes de vie. Les changements dans l’alimentation, l’obésité, le manque d’activité et les perturbations du cycle de sommeil et d'éveil seraient à l’origine d’une incidence plus forte de ce cancer. De même, l’exposition environnementale aux pesticides et autres polluants aurait leur part de responsabilité.

PB : Quid du cancer du sein ?

EER : Aujourd’hui, une femme sur huit en France sera atteinte d’un cancer du sein… Il est celui avec la plus grande incidence chez la femme, mais pas le plus mortel. D’ailleurs, le nombre de décès baisse ! Encore une fois, nous devons cela aux grosses avancées de la médecine, que ce soit dans la stratégie ou dans le développement de nouveaux traitements.

Depuis février 2025, des travaux sont en cours pour essayer d’abaisser l’âge du dépistage à 45 ans. Aujourd’hui, les femmes se font dépister à partir de 50 ans, sauf cas exceptionnels. Cette requête n’est pas encore effective pour le moment.

PB : Comment évolue la mortalité par cancer en France ?

EER : Le cancer est toujours la première cause de décès en France, la deuxième chez la femme. Mais nous notons ces dernières années une évolution préoccupante : bien que le taux de mortalité par cancer ait tendance à se stabiliser, voire diminuer chez les personnes plus âgées, il augmente chez les jeunes adultes. En effet, on constate une hausse de la mortalité chez les femmes entre 20 et 45 ans, et chez les hommes entre 20 et 40 ans. La cause la plus probable, comme pour le cancer du pancréas, c’est l'évolution du mode de vie.

La science prévoit une augmentation d’environ 8 % des décès liés aux cancers, qui devraient passer de 106 000 (en 2022) à 115 000 d’ici 2050. L’urgence, c’est le dépistage précoce. Plus on arrive à détecter un cancer tôt, plus on arrive à le guérir. Au stade de lésions pré-cancéreuses, on peut même le soigner avec très peu d’effets secondaires. Dans un contexte où les cas de cancers augmentent chez les jeunes, c’est essentiel : vivre avec des effets secondaires à un âge avancé est déjà très contraignant, mais passer toute sa vie d’adulte ainsi, c’est encore plus difficile. Guérir les gens, c’est notre objectif, mais c’est encore mieux si la qualité de vie suit.

Sources

Interview du Dr Elie El-Rassy, oncologue médical à l’Institut Gustave Roussy

https://www.frm.org/fr/maladies-recherches-cancers-focus-cancers-chiffres