
Les tensions d'approvisionnement se suivent et se ressemblent. Produits de contraste pour les IRM, antibiotiques, psychotropes… Depuis des mois, certains patients doivent jongler ou parcourir des kilomètres pour trouver le sésame : leur traitement. Une situation critique qui a pris une ampleur catastrophique ces dernières années, comme le rappelle Éric Myon, secrétaire général de l’Union nationale des pharmacies de France (l’UNPF) dans une interview début avril* : “Il faut rappeler l’ampleur catastrophique prise par ce phénomène, de 405 pénuries en 2016 à 2 060 en 2021, pour atteindre près de 5 000 en 2023. De très nombreux produits manquent encore chroniquement à l’appel. Des patients sont exposés au risque de rupture de traitement alors qu’ils souffrent de pathologies cardiaques, de troubles psychotiques, de dépression sévère, de diabète, d’hépatites ou d’autres maladies graves.” Même si l’Agence nationale du médicament (ANSM) se félicite d’un léger repli des tensions et ruptures (3 825 en 2024 contre 4 925 en 2023), le problème reste entier pour nombre de malades. D’autant qu’une nouvelle désillusion pointe à l’horizon : les préparations magistrales, proposées en lieu et place des médicaments introuvables pourraient être moins bien remboursées. Ces préparations souffrent en outre d’une méconnaissance du grand public.
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“Je prends de la quétiapine depuis quatre ou cinq ans, explique Mathieu, 46 ans. En mars dernier, quand j’ai dû renouveler mon traitement, j’ai été confrontée au problème de rupture.
J’ai fait au moins dix pharmacies avant de trouver mon médicament, je commençais à être inquiet, car j’ai absolument besoin de ce médicament et on ne peut pas l’arrêter brutalement, au risque d’avoir des effets secondaires importants.” Comme de nombreux autres patients devant faire face aux ruptures de stocks de quétiapine (nous vous en avions parlé ici), Mathieu se voit proposer l’option de la préparation magistrale. Une solution qui ne le satisfait pas : “Autant je n’ai pas de problème à prendre un générique, autant la préparation magistrale ne m’inspire pas forcément confiance, explique Mathieu. Sous quelle forme va-t-elle être proposée ? Quels seront ses effets indésirables ? Sera-t-elle exactement dosée comme le comprimé ?”
A la méfiance s'ajoutent des contraintes matérielles, Mathieu explique que certaines pharmacies visitées lui ont dit qu’elles n'étaient pas dans la capacité de réaliser de préparation magistrale pour tel ou tel dosage.
Il n’empêche, la préparation magistrale est parfois la seule solution en cas de tension d’approvisionnement. Pour rappel, le Code de la Santé Publique définit la préparation magistrale comme “tout médicament préparé [en cas de besoin] en pharmacie selon une prescription destinée à un malade déterminé”.
Pour faire face aux tensions et ruptures, les préparations magistrales en renfort !
Face aux ruptures, le premier réflexe - avant la préparation magistrale - est de proposer une alternative, une autre molécule similaire. Mais pour certains traitements, ce n’est pas si simple. "En psychiatrie, les médicaments sont rarement interchangeables", explique le psychiatre Antoine Pelissolo, l’un des premiers à donner l’alerte sur les risques de la pénurie fin janvier dernier, on vous en avait parlé ici. "Les stocks de quétiapine dans les pharmacies sont partout épuisés ou en voie de l'être. Or, ce médicament ne doit pas être interrompu brutalement, au risque d'effets secondaires et surtout de rechutes potentiellement graves, et il est très compliqué de définir, au cas par cas, une molécule de remplacement", conclut-il.
A contrario, les préparations magistrales utilisent les mêmes molécules que le médicament en rupture et ont permis, pendant le pic épidémique de cet hiver, de pallier le manque.
“Début mars 2025, plus de 20 000 traitements à base de quétiapine avaient déjà été produits et délivrés aux comptoirs des officines (en préparation magistrales, NDLR), précise encore Éric Myon. Précédemment, en 2023, ce sont 7 millions de gélules d'amoxicilline qui avaient pu être produites. Preuve que la préparation magistrale est une passerelle efficace pour répondre de manière agile et sécurisée aux ruptures.”
Pourquoi les préparations magistrales risquent-elles d’être moins bien ou plus du tout remboursées ?
Pour ajouter un peu plus à la confusion qui règne consécutivement aux pénuries de médicaments, l’UNPF vient de soulever une nouvelle problématique. Depuis fin avril, la Direction générale de la santé (DGS) souhaite limiter le remboursement des préparations magistrales par l’Assurance maladie à celles “faisant l’objet de recommandations officielles de l’ANSM et d’un tarif publié par arrêté ministériel”. La quétiapine rentre dans ces conditions de prescription, mais ce n’est pas le cas d’autres psychotropes. Les psychiatres sont depuis vent debout car 14 médicaments psychotropes sont en tension, dont la sertraline, un antidépresseur très souvent prescrit pour les épisodes dépressifs et les troubles anxieux. Or la sertraline en préparation magistrale n’entre pas dans le cadre de remboursement de la DGS. Pour Mathieu, qui prend trois médicaments différents pour ses troubles anxieux et ses problèmes de sommeil, la coupe est pleine : “Il est clair que si en plus, la préparation magistrale n’est pas remboursée, ce sera un frein supplémentaire. Je préfère demander à mon médecin de me changer de traitement !”.