
En 2024, 18,1 % des adultes français étaient en situation d’obésité, soit près de 9,8 millions de personnes. Et selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cette proportion pourrait grimper entre 25 et 29 % d’ici 2030. Une crise sanitaire bien sûr, mais aussi une crise silencieuse d’un autre ordre : celle de la souffrance psychique, des blessures anciennes, et du regard que l’on porte sur soi. Car derrière les chiffres, il y a des histoires. Et derrière la prise de poids, il y a souvent un mal-être. “Je ne suis pas à la hauteur, j’ai une faille et je la compense”, explique Christian Richomme, psychanalyste à Paris. “La nourriture devient alors un refuge, une façon de transformer une frustration ou une douleur en quelque chose de plus supportable.”
Contrairement aux approches qui se concentrent uniquement sur la perte de poids, Christian Richomme défend une vision plus globale de l’obésité, qui lie à la fois le corps, les émotions et l’histoire personnelle. Il nous a détaillé quatre étapes fondamentales pour sortir de ce qu’il appelle “la prison mentale” de l’obésité.
Comment les blessures émotionnelles influencent la prise de poids ?
La première étape ne se joue ni dans l’assiette, ni sur un tapis de course. Elle se joue dans l’histoire de vie. “Lors des consultations, je prends toujours le temps d’explorer avec mes patients leur histoire personnelle, les manques affectifs, les humiliations, les modèles familiaux. L’objectif est de comprendre quelles émotions sont étouffées par la nourriture.”
Car le surpoids n’apparaît pas de nulle part. Il est souvent la conséquence d’un vécu ancien, parfois inscrit dès l’enfance. “Si un patient a été élevé avec une morale très forte autour de la drogue ou de l’alcool, il va parfois inconsciemment reporter ce besoin de compensation sur la nourriture. Et s’il a vu ses parents se réfugier dans le frigo ou se consoler avec du sucré, il reproduit ce qu’il connaît, ce qui est ‘autorisé’.” Cette phase de travail est parfois longue, mais elle est nécessaire pour que le patient cesse de vivre en pilote automatique, sans comprendre pourquoi il mange au-delà de ses besoins physiologiques.
“Le patient ne s’aime pas. Il ne s’aime pas tel qu’il est. Il n’aime pas son corps, mais souvent, il n’aime pas non plus quelque chose de plus profond en lui. Et dès qu’il fait un écart, il replonge dans une spirale : je suis nul, je n’y arriverai jamais, à quoi bon.”
Réapprendre à écouter son corps : faim, satiété, émotions
Longtemps, les patients en surpoids ont été enfermés dans une succession de régimes restrictifs, qui les ont éloignés de leurs sensations corporelles. Résultat : ils mangent par habitude, par peur de manquer, ou pour calmer une émotion désagréable, plus que par faim réelle.
“C’est là que j’articule deux approches complémentaires”, explique Christian Richomme. “D’un côté, les TCC (thérapies cognitivo-comportementales) nous permettent de travailler sur les effets : on identifie les situations déclenchantes, on apprend à observer ce qui pousse à manger. De l’autre, la psychanalyse permet de remonter à l’origine du schéma : pourquoi, à un moment donné de sa vie, ce patient a appris à se réguler avec la nourriture.”
Cet apprentissage est lent. Il s'agit de “reconnecter la tête et le ventre”, d’interroger chaque faim, de comprendre si elle vient du corps, ou de l’âme. Petit à petit, les compulsions s’espacent, et la personne redécouvre ce que signifie “avoir envie” de manger, non pas par compensation, mais par plaisir.
Changer le discours intérieur : de l'auto sabotage à la bienveillance
C’est l’un des pièges les plus profonds dans lesquels tombent les personnes en situation d’obésité : la culpabilité chronique, et l'auto dévalorisation.
“Le patient ne s’aime pas. Il ne s’aime pas tel qu’il est. Il n’aime pas son corps, mais souvent, il n’aime pas non plus quelque chose de plus profond en lui. Et dès qu’il fait un écart, il replonge dans une spirale : je suis nul, je n’y arriverai jamais, à quoi bon.” Dans ce cas, il est nécessaire de procéder à une relecture complète du discours intérieur. Qui permettra de faire émerger les qualités du patient, les aspects de sa personnalité qu’il a oubliés. Et surtout, de travailler sur une autre perception de l’échec.
“Je leur donne souvent l’image des 6 étages. Imaginez que vous grimpez les marches vers un objectif : manger différemment, prendre soin de vous. Si vous redescendez d’un ou deux étages, ce n’est pas grave. Ce n’est pas "tout est fichu". Vous n’êtes pas au point de départ. Vous avez progressé. C’est cette vision-là qui change tout.”
Pour Christian Richomme, la clé réside dans les “petits pas”, et non dans l’attente d’une transformation radicale. Chaque victoire compte. Chaque écart peut devenir une occasion d’apprendre. Car ces patients sont souvent “hypersensibles à l’échec”, et il faut désamorcer cette hypersensibilité pour avancer.
“Je dis souvent à mes patients que la perte de poids durable passe par une réconciliation avec leur propre corps. Tant qu’ils se perçoivent comme un ennemi, le combat est inégal. Il faut d’abord cesser la guerre intérieure.”
Se réconcilier avec son image, son corps, son histoire
Dernière étape, sans doute la plus intime : accepter son corps tel qu’il est aujourd’hui, et non tel qu’il “devrait être” selon les diktats sociaux. “Je dis souvent à mes patients que la perte de poids durable passe par une réconciliation avec leur propre corps. Tant qu’ils se perçoivent comme un ennemi, le combat est inégal. Il faut d’abord cesser la guerre intérieure.” Cela ne signifie pas renoncer à changer. Mais “changer par amour de soi, et non par rejet de soi”. La nuance est immense.
Et surtout, cette acceptation est un bouclier face à la spirale dépressive. Car l’obésité peut s’accompagner d’un état de repli très profond : “Je ne sors plus, je me cache, je me sens invisible.” Puis vient la dépression. Et alors, plus aucune énergie pour bouger, cuisiner, vivre. Le cercle est fermé. “C’est pourquoi la prise en charge doit être précoce, et toujours accompagnée. Seul, on a du mal à sortir de cette boucle mentale. Mais avec un soutien thérapeutique, on peut peu à peu desserrer l’étau.”
L’obésité n’est donc pas un simple problème de volonté ou de fourchette. C’est souvent le symptôme visible d’un combat invisible.