Isabel, 54 ans : Crédit photo : Isabel Ferrera

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Un sourire rayonnant, des ongles colorés et une mise en pli fraîchement sortie de chez le coiffeur. Depuis que Maria vit avec sa fille Isabel, son quotidien rime avec bienveillance et coquetterie. Une réalité qui n’a pas toujours été le cas. « Il y a 10 ans, je suis venue rendre visite à mes parents à l’improviste entre deux rendez-vous avec des clients à Londres. Je les ai trouvés seuls, désorientés et totalement désespérés. Les voir de cette manière m’a terrifiée », se souvient cette quinquagénaire. À peine rentrée en Grande-Bretagne, elle prend une décision qui change le cours de sa vie : elle démissionne, fait ses valises et emménage près de ses parents au Portugal.

Au départ, Isabel pense rester pour une période définie, le temps de mettre en place les aides nécessaires pour que ses parents bénéficient d’une prise en charge à domicile adaptée à leurs besoins. Mais la réalité la rattrape très vite. « J’ai trouvé un appartement à Lisbonne, je pensais pouvoir faire des allers-retours de temps en temps, mais l’autonomie de mon père s’est très vite dégradée. Je passais mon temps sur la route entre la capitale et le village de mes parents (300 km)... j’étais épuisée », témoigne Isabel.

Ses frères vivant en France et éloignés de toute prise d’initiative qui pourrait l'alléger, la jeune femme prend la décision la plus difficile de toute sa vie. « Avec mes parents, nous avons décidé que, pour leur sécurité, ils seraient mieux ensemble dans l’EHPAD du village », dit-elle les larmes aux yeux. Un établissement chaleureux à taille humaine perché dans les montagnes portugaises avec une vue à couper le souffle.

Mais le cadre idyllique n’empêche pas ses parents d'emprunter une route à grande vitesse vers la perte totale d’autonomie. « Voir mes parents en fauteuil roulant ou allongés toute la journée alors qu’ils avaient juste besoin d’aide et de temps pour se déplacer, m’a mise hors de moi. Ces établissements n’ont pas d’étape d’insertion pour aider les personnes à se sentir chez elles. Ils ne prennent pas le temps », souligne Isabel.

Un matin, son téléphone sonne : son père s’est endormi pour un long voyage sans retour. « C’est l’appel que je redoutais tant. Il m’avait prévenu une semaine avant qu’il voulait que je le laisse partir, je sentais que le jour était proche », confie-t-elle. « On n’est jamais vraiment préparé à ce genre d’appel. »

Isabel est alors prise dans une spirale infernale : son travail à Lisbonne, sa maman qui se sent toujours plus seule. Des allers-retours à l’hôpital pour des chutes à répétition, des médicaments inefficaces. Ce long tunnel prend une direction chaque jour un peu plus inquiétante. « Lors d’une énième hospitalisation de ma mère, je l’ai trouvée amaigrie, la peau grise, sans force pour dire un mot. Elle ne me reconnaissait plus. Le médecin me prépare à l’inévitable », raconte Isabel.

À l’extérieur, ses compétences acquises dans le monde de la finance font d’elle une roche incassable. Mais à l'intérieur, elle hurle. « Mes différentes formations m’ont préparée à la prise de risque. Ce jour-là, j’ai de nouveau tout lâché, je me suis installée dans le village de mes parents et j’ai pris ma mère avec moi. Il est hors de question que je la regarde se laisser mourir de la sorte sans rien faire. »

Depuis, il n’y a pas un jour où Isabel ne prend pas soin de sa maman. Vacances, week-ends, tout cela est mis de côté. Elle est sa fille, son infirmière, sa meilleure amie, sa plus grande confidente. « Ma définition du luxe a beaucoup changé entre ma vie d’avant et d’aujourd’hui. Lorsque je vivais à Notting Hill, je roulais dans une belle voiture, portais des objets de luxe, partais dans des destinations à couper le souffle. Aujourd’hui, je suis proche de la nature, de ma mère. Je me rends compte que la liberté n’a pas de prix. Et je ne regretterai jamais ce choix. »

Crédit photo : Isabel Ferrera

Le visage de Maria s’éclaircit de jour en jour, sa mémoire s’améliore, la gourmandise la rattrape. Mais tout cela a un prix. « Je ne suis pas rémunérée pour m'occuper d’elle. Heureusement, la location saisonnière de mon appartement à Lisbonne me permet de vivre, mais comment font les gens qui n’ont pas cette chance ? », s’indigne Isabel. « Sans les aidants familiaux, le système de santé ne tiendrait pas, que ce soit en France, au Portugal ou dans n'importe quel pays. Il faut que les pouvoirs publics se rendent compte de ce constat et apportent un soutien financier à ces personnes. »

Sources

Interview avec Isabel