Bactéries mangeuses de chair : les endroits où vous pouvez les attraperIstock
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Elle est décrite comme une affection rare. Pourtant, depuis plusieurs mois, les cas de fasciite nécrosante, ou bactérie "mangeuse de chair", font la Une des journaux. À Noël, une Canadienne de 30 ans, dont la moitié du visage avait subitement enflé, a dû se faire hospitaliser d'urgence après avoir été infectée par cette bactérie. En France, elle fait 200 victimes chaque année.

Mais d’où provient cette horrible bactérie ? Doit-on la craindre ? Et surtout, ou peut-on l’attraper ? Medisite a posé la question au Professeur Stéphane Gayet, infectiologue et hygiéniste au CHU de Strasbourg.

"Le terme bactéries mangeuses de chair est non seulement saisissant, mais effrayant, introduit le Professeur Stéphane Gayet,. Et c’est le but. Cependant, il n'est pas exact. En effet, ce que nous appelons la chair est la viande, c'est-à-dire le muscle. Chez l'homme, la chair au sens propre est constituée des muscles rouges, striés et volontaires, appelés muscles squelettiques puisqu'ils s'insèrent sur des parties osseuses".

En réalité, les bactéries dites "mangeuses de chair" ne s’attaquent pas aux muscles, selon le spécialiste, mais aux aponévroses, parois connues sous le nom de fascias.

Ces bactéries provoquent la fasciite nécrosante

"Quand on découpe un gigot, on tombe sur plusieurs aponévroses, ce sont des membranes qui sont blanches, fibreuses, très résistantes et immangeables, car elles sont dures, sèches et sans saveur. Une aponévrose est donc constituée d'un tissu conjonctif très résistant ; elle protège les structures anatomiques, tout en les séparant les unes des autres", décrit le Pr Gayet.

Notre enveloppe est constituée de l’épiderme, du derme et de l’hypoderme. Cette dernière couche est, en grande partie, constituée de cellules adipeuses (graisseuses) dans un tissu conjonctif. Sous l’hypoderme se situe un autre tissu conjonctif, plus dense : le tissu sous-cutané. C’est ce tissu qui abrite l’aponévrose superficielle revêtement ou fascia superficiel.

"Les bactéries dites mangeuses de chair ne se nourrissent pas de chair, mais attaquent en fait cette aponévrose superficielle ou fascia superficiel, indique le Pr Stéphane Gayet. Elles provoquent une fasciite. C’est une destruction du fascia superficiel dans le cadre d’une infection bactérienne grave qui progresse rapidement. Il s’agit dès lors d’une fasciite aiguë nécrosante".

Les bactéries mangeuses de chair produisent une enzyme qui dégrade votre tissu conjonctif, et plus particulièrement l’acide hyaluronique, l’un de ses constituants essentiels. L’enzyme est appelée "hyaluronidase". C’est d’ailleurs la première caractéristique des bactéries mangeuses de chair : la production très active d’une hyaluronidase puissante qui détruit le fascia aponévrotique.

"La deuxième arme de ses bactéries est une production de toxines puissantes, ajoute le Pr Gayet. Des molécules généralement protéiques qui agressent vos tissus".

Comment se développent les bactéries mangeuses de chair ?

<strong>Comment se développent les bactéries mangeuses de chair ? </strong>

Les bactéries mangeuses de chair typiques sont des streptocoques A, c'est-à-dire des bactéries arrondies provenant du corps humain. "On peut s'étonner qu'elles viennent du corps humain et c'est pourtant la vérité, car le streptocoque A n'est présent ni dans l'environnement, ni chez l'animal", explique le Pr Gayet.

"C'est l'occasion de préciser qu'au sein d'une espèce bactérienne comme le streptocoque A (nom scientifique : Streptococcus pyogenes, qui signifie le streptocoque qui produit du pus, ndlr), il existe un grand nombre de souches ou clones qui diffèrent par leur pathogénicité", poursuit-il.

Certaines souches ont une pathogénicité moyenne, tandis que d'autres sont extrêmement pathogènes au point de pouvoir entraîner le décès.

Streptocoque A : elles produisent des toxines d’une grande puissance

Les authentiques bactéries mangeuses de chair sont des souches rares et très pathogènes de streptocoque A. Elles sont à la fois très virulentes puisqu’elles se multiplient facilement et rapidement, et très toxinogènes. Elles produisent des toxines d'une grande puissance. "Il faut rappeler que le streptocoque A est une bactérie pathogène bien connue en médecine : angine rouge streptococcique, impétigo, érysipèle, fièvre puerpérale et autres septicémies…", indique le Pr Gayet.

Ces souches sont très rares, mais extrêmement redoutables. Elles produisent des exotoxines, c'est-à-dire des toxines secrétées du vivant de la bactérie et libérées dans leur milieu. "Ces exotoxines ont une très forte affinité pour les lymphocytes T de certains individus que l'on sait caractériser génétiquement : chez ces individus à haut risque, les toxines du streptocoque A (souches très pathogènes) attaquent violemment les lymphocytes T, ce qui les conduit à libérer dans le milieu ambiant une énorme quantité de cytokines lymphocytaires ou lymphokines", ajoute le Professeur.

Les cytokines sont de petites protéines (des peptides) qui sont libérées par les cellules de défenses et déclenchent des phénomènes inflammatoires (dilatation des capillaires sanguins, œdèmes, chaleur, douleur…).

Un grand nombre de personnes sont porteuses saines et peuvent en contaminer d’autres

"En effet, on considère que le streptocoque A est une bactérie assez fragile, qui ne peut vivre que dans le corps humain. Nous avons vu qu'elle n'était présente ni dans l'environnement, ni chez les animaux. Le réservoir de streptocoque A est constitué par l'oropharynx de l'homme. Ce qui signifie qu'un grand nombre de personnes en sont porteuses saines", alerte Stéphane Gayet.

Pour développer une infection à streptocoque A, il faut être contaminé par une souche pathogène et se trouver en état de réceptivité. Une personne porteuse saine peut s'auto-infecter et peut également transmettre sa souche par la toux, par la parole et par les mains souillées de mucosités.

On peut dire qu'à chaque type d'infection à streptocoque A, correspond à une souche particulière : il existe des souches qui donnent des angines, des souches à érysipèle, à impétigo, etc.

Il faut toujours avoir à l'esprit que pour développer une infection, il faut : une souche pathogène, une contamination, une porte d'entrée et un terrain réceptif particulier. Nous sommes très inégaux devant le risque infectieux.

La notion de terrain réceptif pour la fasciite aiguë nécrosante à streptocoque A commence à être bien documentée. Ce sont des personnes dont les lymphocytes sont particulièrement réceptifs aux exotoxines streptococciques, et c'est la libération massive de cytokines qui en résulte, couplée à une production intense de hyaluronidase, qui détermine le tableau clinique de fasciite nécrosante à streptocoque A.

Les vibrions mangeurs de chair : « liés à des infections gravissimes »

"Alors que les bactéries mangeuses de chair typiques sont des souches hyper virulentes et toxinogènes de streptocoque A, on a étendu cette expression à certaines infections rares et gravissimes, liées, non pas à une souche de streptocoque A, mais à une ou plusieurs souches de vibrions, en l'occurrence de Vibrio vulnificus", explique encore le spécialiste.

La famille vibrion est celle de la bactérie du choléra, Vibrio cholerae.

Les hôpitaux et cliniques : des endroits à risque

<strong>Les hôpitaux et cliniques : des endroits à risque </strong>

S'agissant des streptocoques A, ce sont les hôpitaux et les cliniques les endroits les plus à risque. "Les fasciites nécrosantes aiguës à streptocoque A surviennent le plus souvent par petites épidémies (une petite dizaine de cas)", explique le Pr Gayet.

Les services de chirurgies, une porte d’entrée pour les bactéries mangeuses de chair

"Une plaie opératoire constitue une porte d'entrée royale pour le streptocoque A", ajoute le spécialiste. Les services de chirurgies vont donc constituer l’un des lieux les plus propices au développement de ces bactéries. La chirurgie dite conventionnelle ou à ciel ouvert est plus à risque que la chirurgie endoscopique ou vidéo chirurgie.

"Étant donné que ces souches de streptocoque A hyper virulentes et toxinogènes sont rares, le réservoir source est le plus souvent un membre de l'équipe médico-paramédicale", estime le Professeur.

Le tabagisme chronique augmente le risque de portage, de même que tout état inflammatoire de la gorge. "Il peut arriver que le portage ne soit pas tout à fait sain, en d'autres termes que la personne porteuse ait une pharyngite ou une angine, car ces souches de streptocoque A peuvent aussi déterminer des infections de la sphère ORL" explique l’infectiologue.

"D’autres gestes médicaux invasifs peuvent aussi constituer une porte d’entrée. Je pense notamment à la pose de cathéter, ou autre injection, ou encore une plaie ouverte".

Doit-on les craindre en cas d’hospitalisation ?

"S'agissant des streptocoques A, le risque est extrêmement faible. Cette infection particulièrement grave est très rare et nécessite à la fois un terrain particulier et des circonstances bien définies", indique Stéphane Gayet.

Les personnes qui sont à risque sont avant tout les sujets ayant une forte surcharge pondérale, une maladie chronique telle qu'une insuffisance rénale ou hépatique, un diabète sucré ou toute autre maladie qui affaiblit l'immunité.

"Il faut par dessu tout ce terrain particulier, défini génétiquement, qui fait que les lymphocytes T sont hyper réactifs aux exotoxines de la souche de streptocoque A", ajoute le Pr Gayet.

La mer peut aussi provoquer la contamination

<strong>Les mers chaudes et polluées peuvent aussi provoquer la contamination</strong>

Les contaminations par des bactéries mangeuses de chair peuvent aussi se faire lors d’une activité dans la mer. Le Pr Stéphane Gayet mentionne les mers côtières chaudes. Il s’agira non pas d’une souche de streptocoque A, mais d’une ou plusieurs souches de vibrions.

Les souches de vibrions vivent dans la mer

"La contamination peut se faire lors d’une activité en mer, à la faveur d’une plaie. Des souches de vibrions produisent des toxines analogues à celles du streptocoque A, mais le tableau clinique est différent", explique le spécialiste.

En effet, le contexte est radicalement différent pour les souches de vibrions. "C’est une bactérie qui vit dans la mer, typiquement, dans les mers côtières chaudes et polluées et par conséquent avec une forte densité microbienne", décrit Stéphane Gayet.

Méfiez-vous des plages polluées

Il est donc vivement recommandé de vous renseigner sur le niveau de contamination organique et microbien des plages que vous fréquentez. "Les cas de contamination qui nous ont été signalés sont presque toujours survenus dans des mers chaudes et polluées", confirme l’infectiologue.

Près de la baie du Delaware aux Etats-Unis, où la température de l’eau a augmenté, cinq cas de Vibrio vulnificus ont été recensés au cours des deux dernières années.

Ces températures plus élevées ont entraîné des changements dans la quantité, la distribution et les fenêtres saisonnières des bactéries. Cela a créé des conditions plus favorables au développement de la bactérie Vibrio. Certains spécialistes accusent ainsi le réchauffement climatique, causé par la pollution, d’être responsable de la hausse des cas fasciite nécrosante.

Bactéries mangeuses de chair : 30 % des cas mortels au minimum

<strong>Bactéries mangeuses de chair : 30 % des cas mortels au minimum</strong>

La fasciite aiguë nécrosante est très grave. Il y a environ 30 % de décès, au bas mot. Quand la mort a pu être évitée, il existe constamment des séquelles souvent considérables. La fasciite aiguë nécrosante atteint essentiellement les membres et parfois l'abdomen ou le thorax. Un des patients américains a dû être amputé des quatre membres.

En quelques heures, une septicémie s’installe

Tout commence par une plaie, qui n'est pas nécessairement importante. La peau est rouge pâle et son aspect fait paniquer. Les œdèmes sont constants et parfois énormes. "L'état général du sujet est altéré, il se sent très atteint. Il peut y avoir de la fièvre et des douleurs. L'évolution est rapide, l'infection progresse à très grande vitesse étant donné qu'il s'agit de souches virulentes", décrit le Professeur Gayet.

La destruction du fascia superficiel décolle les tissus les plus profonds. "En quelques heures, une septicémie s'installe, qui atteint les reins et les poumons. En l'absence de traitement antibiotique, l'évolution est constamment mortelle et le décès se produit dans un tableau de choc (défaillance des reins, des poumons et du cœur)", alerte l’infectiologue.

Amputation : la zone nécrosée est souvent plus étendue qu’on ne le pense

"Nous avons vu qu'il y avait au minimum 30 % de décès, estime Stéphane Gayet. La guérison ne peut être obtenue que grâce à un traitement antibiotique de toute urgence et par voie intraveineuse et toujours associée à une intervention chirurgicale qui permet de décomprimer les œdèmes et d'enlever tous les tissus mortifiés".

"Les sacrifices anatomiques [amputations, ndlr] peuvent être tout à fait considérables, car la zone nécrosée est souvent bien plus étendue que ne semble l'indiquer la surface de peau malade".

Un père de famille résident en Floride en a fait les frais. Récemment diagnostiqué d’une fasciite nécrosante, il a vu sa peau devenir nécrosée et violacée. Il a subi trois interventions chirurgicales pour être maintenu en vie. On a dû lui retirer 25 % de sa peau.

Peut-on guérir ?

"Sur le plan antibiotique, heureusement, le streptocoque A est encore assez bien sensible aux antibiotiques (pénicilline de types G ou A). C'est l'occasion de préciser que la virulence et la production de toxines d'une souche bactérienne n'ont pas de rapport avec sa résistance aux antibiotiques, au contraire : les souches les plus pathogènes sont souvent très sensibles aux antibiotiques", souligne l’expert.

Sources

Merci au Professeur Stéphane Gayet, infectiologue et hygiéniste au CHU de Strasbourg

mots-clés : bactérie, amputation
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