Comment communiquer avec un proche schizophrène ?Istock
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Cette année, les Journées de la schizophrénie auront lieu du 18 au 24 mars. Anne Leroy, secrétaire de l’association qui organise cet événement, est également la co-créatrice de l’association PositiveMinders, qui œuvre à sensibiliser le grand public sur ce trouble mental. Son propre fils, décédé aujourd’hui, était lui-même schizophrène. Depuis plus de 20 ans, Anne Leroy aide les familles et les proches des malades dans leurs démarches et les aide à communiquer avec les patients, dont la maladie change le rapport au monde. Entretien.

Medisite : Comment s’adapter lorsqu’on parle à un proche schizophrène ?

Anne Leroy : Il s'agit de changer un peu de stratégie pour apaiser des tensions qui peuvent devenir extrêmes pour très peu de choses. La maladie survient entre 15 et 25 ans dans environ 80% des cas. Elle commence par des troubles psychotiques, puis arrive le diagnostic. Le problème, c’est que les parents ou la famille continuent de communiquer sur le mode qu’ils ont toujours connu. Ils se disent d’abord que c’est un adolescent qui fait sa crise. Puis ils vont utiliser la coercition. Certaines fois, ils vont essayer la conciliation, mais cela ne mène nulle part non plus. Quelqu'un qui a un trouble psychique se sent très vite très seul. Si vous n'arrivez pas à faire comprendre à ce jeune - j'utilise volontairement ce mot car c’est la période durant laquelle la schizophrénie se déclenche le plus souvent - que vous constatez qu'il y a une souffrance, ça va être difficile de communiquer. Prenons l’exemple du mal de dents : ça nous est tous arrivé. Quand on croise quelqu'un qui se tient la joue et qui dit qu’il a été chez le dentiste, on est capable de compatir en connaissance de cause. En ce qui concerne un trouble psychique, on peut entendre, mais on ne peut pas partager. Si on arrive à dire “je vois ta souffrance, elle a l'air sérieuse, n'hésite pas à nous parler”, cela sort la personne de ce ghetto de solitude.

“Avec une personne schizophrène, il faut poser des questions fermées”

Medisite : Quelle est la pire question qu’on puisse poser à une personne schizophrène ?

Anne Leroy : Plusieurs personnes m’ont dit que c’était : “Comment ça va ?” Ça a l'air tout simple, mais pour elles, c’est compliqué de répondre. Préférez des formulations comme : “Ces derniers temps, c'était difficile. Comment tu te sens ce matin ?” Ou l’inverse : “Tu allais bien ces derniers temps, c'était beaucoup plus facile. Ça fait plaisir. J'espère que ce matin, ça va aussi.” À noter : il faut toujours poser des questions fermées. Les questions fermées, c'est la pire chose qu'on puisse faire à une personne schizophrène, ça la met en panique. Un constat que je fais souvent, c’est au restaurant : la personne prend la carte, et sur toutes les pages, il y a quelque chose qui lui fait envie. À la fin, vous lui demandez ce qu’elle a choisi, mais elle ne sait pas à cause d’un symptôme qui s’appelle l'ambivalence et qui lui rend le choix impossible. Elle va vous renvoyer la question en demandant ce que vous, vous prenez. Mettons que vous preniez le plat du jour, elle dira “moi aussi”. Souvent, donc, il faut poser des questions fermées, comme : “Je prends un coca, veux-tu en prendre un avec moi ?”

“Globalement, il faut parler de soi”

Medisite : Quelles sont les qualités requises pour adapter sa communication ?

Anne Leroy : Globalement, il faut parler de soi. Par exemple, on peut dire : “Ça me fait plaisir, je trouve que tu as meilleure mine, parce que ces derniers temps, j'étais inquiète.” Vous avez donné votre ressenti et votre façon de constater les choses. Il n'y a pas de jugement. Tandis que dire : “T’avais vraiment une sale tête ce matin”, c’est du jugement. C'est hyper décourageant d'emblée.

Medisite : Il peut arriver qu’on s’agace face à un proche schizophrène. Comment gérer cette situation ?

Anne Leroy : Ce n’est pas grave de s’agacer parfois, mais je pense que ce qui est très important, c'est de dire “écoute, je suis désolée, j'étais agacée, mes propos ont dépassé ma pensée”. C'est la moindre des choses.On peut poursuivre en disant : “J’aimerais qu'on regarde ensemble ce qu'on peut faire pour qu’on n’en arrive pas là.” Souvent, ce qui est très très utile, c’est de faire la liste de ce qui ne va pas et de voir ce qu’on peut mettre en place pour corriger ça. Ce qui est typique dans la schizophrénie, c’est la question de l’hygiène. La salle de bain est quelque chose que la personne essaie de contourner, et elle n’en parlera jamais si on n’aborde pas le sujet. Mais il ne faut pas le faire comme au tribunal : il faut profiter d'une conversation ou d'une balade, ou d'un moment qu'on partage pour dire : “Je constate, là, franchement, que ça commence à ne pas sentir bon.”

“Il faut comprendre pourquoi la personne schizophrène ne va plus se laver”

Anne Leroy : Pourquoi ces personnes ne veulent pas aller dans la salle de bain ? Il y a des choses incroyables qui ressortent. Je vous donne trois exemples :

  • vous avez une hallucination sensitive et synesthésique et l'eau qui coule vous fait tellement mal que ce n’est pas possible de vous laver
  • j’ai connu un jeune homme pour qui il était impossible d'aller dans la salle de bain parce qu’il croyait qu’il y avait des caméras dans les anneaux de douche
  • la personne a peur de fondre comme un morceau de sucre et de s’évacuer par le syphon

Une fois que vous savez cela, vous comprenez pourquoi la personne ne va plus se laver.

Autre point : certaines personnes ont un trouble qui commence par des propos très violents. Elles peuvent s'emporter et proférer des injures, il faut alors couper tout de suite, dire : “Écoute, je n'admets pas que tu me parles de cette façon.” Il y a deux raisons à ça : sans ça, il y aura forcément une escalade, et deuxièmement, il s’agit de montrer à la personne que ce n’est pas parce qu’on est malade qu'on peut faire n'importe quoi. Vous garantissez aussi à votre proche de mieux se réinsérer socialement.

“L’essentiel est de préparer les choses”

Medisite : Comment faire en sorte que la personne se confie ?

Anne Leroy : Il faut entrebâiller les portes pour que la personne sente que c'est possible de confier des choses qui paraissent inavouables. Parfois, aussi, il vaut peut-être mieux s'abstenir que de balancer des choses sans faire attention. J’ai vécu avec un fils schizophrène qui ne voulait jamais changer de vêtements. Il prenait un bain, mais il ne se changeait pas ensuite. C’était pour lui comme une armure, c'était sa seconde peau. Évidemment, ses habits finissaient par sentir et avoir des tâches. Après le bain, donc, l’étape, c’était de dire : “Bon écoute Nicolas, franchement, ça ne va plus. Je ne veux plus aller manger au restaurant avec toi ou faire des choses avec toi. Il va falloir envisager un changement de vêtements.” L’essentiel est de préparer les choses, car si on les dit de but en blanc, c'est panique à bord. Par exemple : “Si tu viens manger avec nous, ça serait bien d'envisager de prendre une douche d'ici à la fin de la semaine.”

“Mon fils est resté mutique 10 ans”

Medisite : Est-ce que vous avez eu des retours de personnes schizophrènes qui ne sont pas satisfaites de la façon dont on leur parle ?

Anne Leroy : J'ai énormément de témoignages là-dessus. Une chose importante à comprendre, c’est que les soignants ne se rendent pas compte du nombre de questions qu'ils posent et du nombre de fois où ils posent les mêmes questions. Il y a le médecin, l'infirmière, le psychologue… J'ai eu l'impression que mon fils, qui est resté mutique dix ans, avait décidé d'arrêter de parler parce qu'il en avait marre de répondre.

Medisite : Comment parler à une personne schizophrène qui n’est pas stabilisée ?

Anne Leroy : Si quelqu'un vient vers vous avec des propos incohérents, il faut surtout arrêter d'argumenter. Ce qui est très important à comprendre à propos de la communication avec une personne schizophrène, c'est qu’il faut très peu de mots. Cela pour une raison simple : si la personne est incohérente, elle n’est pas capable de se concentrer. On peut dire : “C’est ta réalité, pas la mienne. Quand tu iras seras mieux, on reprendra la discussion.” Surtout, il ne faut pas donner de conseils, il ne faut pas assommer la personne. Pourquoi ? Le cerveau pratique ce qu'on appelle la saillance : il traite des milliers d'informations à la minute. Quand le cerveau fonctionne normalement, il est capable de les classer par ordre et par importance. Quand le cerveau dysfonctionne, ce mécanisme est déréglé et viennent ce qu'on appelle les biais cognitifs, soit le fait de donner de l'importance à des choses qui n'en ont pas, ou de capter seulement quelques mots. La personne fait une sorte d'amalgame et on peut arriver à des aberrations totales. Mais ça nous arrive à tous ! Après, quelqu’un dont le cerveau dysfonctionne ne va garder que les choses qui auront pris de l'importance, ou les mots qu’il a envie de capter.

“On ne pourra pas le changer”

Medisite : Comment communiquer dans le cadre du couple ?

Anne Leroy : C’est un cas de figure assez différent du jeune qui a évolué au sein de sa famille. On voit chez lui les changements de comportement à l'adolescence et il continue de vivre dans le milieu familial. Si on pose des limites, on permet à ce jeune d’envisager une vie hors de la famille, de prendre son envol, d'avoir un appartement, d'envisager une vie de couple. Lorsque vous rencontrez quelqu'un qui souffre de ce trouble dans le cadre d’une relation sentimentale, c’est qu’il est plutôt bien stabilisé. Ou alors il cache son trouble et vous le découvrez au fil des circonstances, ou bien la personne se dit qu’elle ne veut pas montrer qu’elle est malade, alors elle arrête son traitement et elle commence à changer. C'est très important de comprendre que la schizophrénie est un trouble et qu’on ne pourra pas changer l'être aimé. On peut mettre en place des choses très simples, comme dire : “Les week-ends, j'ai absolument besoin d'avoir un moment pour moi tout seul pour faire un certain nombre de choses.” C'est toujours une histoire d'échange, de communication, de dialogue.

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