Autisme après 50 ans : “Je sais que je ne suis pas un OVNI”Istock
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Au départ, Sylvie Seksek ne pensait pas écrire un livre à propos de sa trajectoire de vie “sur le fil du rasoir”, comme elle aime la décrire. Elle avait simplement créé un blog, qu’elle alimentait en fonction des difficultés qu’elle rencontrait au quotidien et des conseils donnés par sa psychologue. “L'idée, c'était de comprendre ce qui m’arrivait. Et puis un jour, je me suis dit : ‘Pourquoi ne pas le publier ?’” Son livre Autiste Asperger à 50 ans - Concrètement, que faire ?, publié sous forme de guide pratique aux Éditions Tom Pousse, est sorti le 11 décembre 2023.

Autisme : “Quand j’ai reçu mon diagnostic, des choses ont ressurgi”

Sylvie l’affirme : avant son diagnostic à l’âge de 50 ans, elle n’aurait jamais imaginé pouvoir être autiste. “J'étais simplement allée voir une psychologue pour lui dire que je vivais des choses bizarres. Quand elle m’a annoncé ça, des souvenirs ont ressurgi. J'ai commencé à dessiner, moi qui n'avais jamais dessiné de ma vie. Et j’ai écrit.” Son livre se veut à destination des personnes autistes bien sûr, mais aussi de celles qui se questionnent, comme des personnes qui souhaiteraient mettre en place des aménagements adaptés au sein d’entreprises ou d’universités.

Note. Si le titre du livre de Sylvie Seksek contient le mot “Asperger”, l’autrice le précise d’entrée de jeu : ce terme ne doit plus être utilisé aujourd’hui. Elle s’explique : “Dans l'autisme, les troubles du fonctionnement cognitif et du fonctionnement perceptif peuvent prendre des formes très variées. C'est pourquoi toutes les dénominations comme ‘autiste de haut niveau’, ‘autiste Asperger’, ‘autisme sévère’, etc, ont disparu depuis 2013 et ont été remplacées par les TSA (les troubles du spectre de l'autisme), ce qui traduit la diversité des configurations autistiques.” Si Sylvie a tout de même choisi de garder cette expression, c’est parce qu’elle l’a tellement utilisée qu’il est pour elle, en tant qu’autiste, difficile de s’en défaire.

“Les autistes doivent faire rentrer des carrés dans des ronds”

Grâce à son diagnostic, Sylvie a enfin pu comprendre pourquoi elle souffrait de “gaucherie sociale”. “Cette expression, utilisée dans la préface de mon livre par la psychologue spécialiste des TSA Bernadette Rogé, me correspond bien parce que c'est une façon d’être différente. Ça me fait penser aux ‘gauchers contrariés’ : ils sont en minorité par rapport aux droitiers, ils ont dû ‘faire rentrer des carrés dans des ronds’ pour essayer d'évoluer avec des pratiques qui ne sont pas les leurs. Nous, les autistes, nous vivons avec les non-autistes. La société essaie de nous faire rentrer dans des cases qui ne sont pas les nôtres.”

Pourquoi Sylvie n’avait-elle jamais songé à l’autisme avant son diagnostic ? Plusieurs raisons expliquent sa surprise. Premièrement, elle est née en 1968, période pendant laquelle la France était particulièrement en retard sur le sujet. Ensuite, en tant que femme - comme les spécialistes des TSA l'ont réalisé - il est plus simple pour elle de “copier” les attitudes communément admises en société, et ainsi de passer pour une personne neurotypique. “Chez les femmes, les TSA sont plus difficiles à détecter car elles font le caméléon, elles se fondent dans la masse beaucoup plus facilement. Moi, j'ai intégré toutes ces difficultés comme faisant partie de mon fonctionnement”, développe l’autrice.

“L’autisme était comme un manteau très encombrant que j’avais toujours sur moi”

La rencontre avec sa psychologue a donc tout changé, à l’aube de la cinquantaine. “Au départ, je lui ai dit que j'avais l'impression de comprendre certaines choses plus vite que les autres, et certaines plus lentement. Je lui ai dit que je voulais que les choses soient plus légères. J'ai une pensée visuelle, et je me représentais un manteau très encombrant que j’avais toujours sur moi et dont je ne pouvais pas me défaire.” Le diagnostic lui a permis de se délester, un peu, de ce lourd manteau.

Dans son livre, Sylvie explique aussi de manière très pratique les difficultés sociales que peuvent rencontrer les personnes autistes. Elle, par exemple, a changé 18 fois de logement au cours de sa vie. “Déjà, à cause de mon fonctionnement, j'étais toujours entre deux boulots, et il faut un CDI pour obtenir un logement. Ensuite, j’avais une façon particulière de gérer des relations amoureuses. Il m’est déjà arrivé de claquer la porte sans préavis, un dimanche soir. Ce qu’il faut enfin savoir, c’est que lorsqu'on est autiste, on a souvent un trouble ou une maladie associée. C’est donc plus compliqué de se faire prêter de l'argent.”

Autisme : la difficile intégration dans le monde du travail

Question travail, le monde de l’entreprise est souvent difficile à appréhender pour Sylvie, qui est aujourd'hui travailleuse indépendante. Elle a par exemple beaucoup de mal à relativiser, ce qui lui porte préjudice. “Les autistes ont tendance à faire des fixations et à prendre les choses très à coeur, souvent au premier degré. Les paroles, les dates ont un sens. C'est intense, l’autisme.” Logiquement, lorsqu’il y a conflit, elle se retrouve tétanisée. “Si l’on s’énerve sur moi, je ne peux pas répondre, je mets du temps à traiter l'information. J'ai une une pensée visuelle qui se traduit généralement tardivement et difficilement en mots. Après, je vais beaucoup ruminer, ce qui complique les choses. Je ne perçois pas non plus toutes les intentions qu'il y a dans ce qu'on peut me dire.”

Enfin, comme elle l’explique : les personnes autistes ont généralement du mal à apprendre de leurs erreurs. “Admettons que je cuise des lentilles. Je sais pertinemment qu'il faut que je ne dépasse pas une certaine dose d’eau, sinon, ça va déborder. Pourtant, systématiquement, je dépasse cette dose, je fais cette erreur. De même, s'il y a de gros nuages dehors, je sais que je ne dois pas sortir. Mais je le fais.”

“Je continue d'avancer comme sur un fil d'équilibriste”

Le pire arrive lorsqu’elle se retrouve en situation de surcharge sensorielle : Sylvie se paralyse. On appelle ça un shutdown. “Par exemple, s’il y a trop de bruit, s’il y a trop de de de lumière et que tu es fatiguée, à un moment donné, tout s'arrête, quel que soit l'endroit où tu te trouves. Tu es incapable de faire quoi que ce soit, tu es enfermée dans ton corps. Logiquement, tu paniques parce que c'est comme si ton cerveau s'arrêtait : tu ne peux plus penser, tu ne peux rien faire. Chez moi, fort heureusement, ça ne dure que quelques minutes.”

Aujourd’hui, Sylvie a pu acheter son logement et trouver un métier qui lui convient. Surtout, elle a appris à appréhender son TSA et sait désormais beaucoup mieux réagir dans les situations difficiles. “Je continue d'avancer comme sur un fil d'équilibriste et je suis rattrapée par toute la fatigue que j’ai accumulée dans ma vie. Néanmoins, je suis très contente d'avoir reçu un diagnostic parce que j'ai compris que je n’étais pas un OVNI. Enfin, si, je suis un OVNI, mais je le suis officiellement !”

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