
Une montée de stress ? Une cigarette. Un moment d’ennui ? Une cigarette ? Des idées noires ? Une cigarette. Les fumeurs ont l’habitude de dégainer une cigarette pour apaiser leur esprit. Et beaucoup redoutent l’arrêt car ils imaginent qu’il va les faire sombrer dans une déprime sans fin. Pourtant, les liens entre santé mentale et cigarette sont loin d’être à sens unique. Au contraire, la cigarette n’est pas forcément l’amie de votre santé mentale et l’arrêt pourrait être plus bénéfique que ce que vous pensez pour votre humeur. Le Dr Guillaume Camelot, psychiatre, fait le tour de la question pour nous.
Medisite : Est-il courant de vivre un épisode dépressif à l’arrêt du tabac ?
Dr Guillaume Camelot : Non, c’est plutôt rare, au sens pathologique et clinique de la dépression. En revanche, vivre un état de tristesse transitoire ou de baisse de moral est courant. Cela fait partie du syndrome de sevrage. La nicotine est un modulateur de la dopamine, un neurotransmetteur qui joue un rôle essentiel dans la sensation de bien-être. Lors de l’arrêt, on peut expérimenter une baisse du tonus dopaminergique, avec une sensation de vide, des émotions exacerbées, un sentiment de tristesse et/ou de colère, etc. La dopamine est un acteur phare dans notre humeur. Mais ces symptômes sont temporaires, ils sont souvent intenses les premiers jours qui suivent l’arrêt, mais ils disparaissent spontanément en quelques semaines.
Une maladie dépressive secondaire à l’arrêt, avec des symptômes qui perdurent, est beaucoup plus rare, comme je le disais. Généralement, elle concerne des patients déjà fragilisés, qui ont un terrain propice à la dépression, qui peut d’ailleurs être passée inaperçue jusque-là, mais qui se réveille à la faveur du sevrage. Pour ces personnes, le sevrage est plus difficile. Il faut absolument être accompagné pendant l’arrêt, qui est un facteur de stress supplémentaire.
Pour tous, les signes de déprime peuvent aussi être anticipés en amont en adoptant une bonne hygiène de vie. Les sensations désagréables de déprime seront moins fortes si on dort correctement, que l’on bouge suffisamment et surtout que l’on diminue (ou idéalement supprime) l’alcool, qui favorise la déprime mais aussi la prise de poids, souvent vécu difficilement sur le plan émotionnel. C’est important car cette déprime passagère peut mener à l’échec, la cigarette faisant figure d’un succédané apaisant. Alors qu’il n’en est rien. De plus, cela renforce la croyance que l’on manque de motivation pour arrêter, que l’on n’est pas assez fort. On peut passer cette passe émotionnelle plus difficile facilement si on est accompagné ou si les choses ont bien été expliquées avant.
Quels signes doivent inquiéter et peuvent indiquer une réelle dépression ?
Tous les symptômes évoqués avant comme de l’irritabilité, un sentiment de tristesse, des difficultés de concentration, des idées noires doivent amener à consulter son médecin ou un médecin psychiatre, quand cela dure plus d’un mois, et plus encore s’ils s'accompagnent de troubles du sommeil qui vont entretenir le problème. La d épression doit être prise en charge et soignée à part entière, peu importe la situation dans laquelle on se trouve par rapport au tabac et à l’arrêt. Ce sont d’ailleurs deux problématiques distinctes la plupart du temps.
Est-ce une bonne idée d’arrêter de fumer si on traverse un épisode dépressif ?
C’est toujours une bonne idée d’arrêter de fumer ! D’autant qu’en plus de ses effets délétères sur la santé cardiovasculaire ou respiratoire, le tabac aggrave la dépression en induisant des fluctuations émotionnelles. De plus, le tabac réduit l'efficacité de certains médicaments utilisés dans le traitement de la dépression, antidépresseurs et anxiolytiques notamment.
En revanche, si on est en dépression, il est impératif de se faire accompagner pendant l’arrêt. Des substituts nicotiniques peuvent aussi être indiqués pour réduire les effets du manque sur la maladie dépressive, les thérapies comportementales et cognitives (TCC) donnent aussi de très bons résultats.
Le tabac améliore-t-il notre humeur, quand on l’entend souvent ?
Le tabac a un effet psychotrope, c’est-à-dire qu’il agit sur le cerveau. Ce qui explique qu’il peut avoir un impact sur l’humeur, le sommeil, le stress. Mais contrairement à ce que l’on pense souvent, c’est un effet négatif, et non positif. Même si l’on ressent un phénomène de stress passager à l’arrêt, effet qui dépend du niveau d’addiction (pas forcément corrélé d’ailleurs au nombre de cigarettes fumées dans la journée), l’état psychologique est toujours gagnant à terme. D’ailleurs une étude Cochrane* analysant les données disponibles et publiée en 2021 tend à montrer que non seulement la santé mentale ne se détériore pas à l’arrêt du tabac mais que les symptômes d'anxiété et de dépression tendent au contraire à s’atténuer.