L'héritage Dolto en questions
Sommaire

L'héritage Dolto par E. Antier

FemmesPlus : Quel est l'héritage de Françoise Dolto aujourd'hui ?

Edwige Antier : Son héritage est immense. Elle a créé une véritable révolution en mettant en avant le bébé comme une personne et en nous livrant un abécédaire de la pensée enfantine. Elle a montré que, dès la naissance, le bébé est un être de langage, même s'il ne parle pas encore. Il est à l'écoute émotionnelle de sa mère et cette écoute est beaucoup plus puissante que l'écoute rationnelle qui se développe ultérieurement. Grâce à cette noblesse donnée au bébé, la natalité a remonté en France et les pères - ces fameux "nouveaux pères" dont on parle aujourd'hui - se sont mis à s'occuper des tout-petits.

Avoir un bébé et élever un enfant est devenu la plus grande aventure de la vie. D'autant plus que Dolto est contemporaine de l'apparition et de la légalisation de la contraception. Désormais, on est parent par choix plus que par devoir ou fatalité.

L'héritage Dolto par A. Naouri

FemmesPlus : Quel est l'héritage de Françoise Dolto aujourd'hui ?

Aldo Naouri : C'est avec Françoise Dolto que l'on a commencé à réaliser que l'enfant pouvait avoir des difficultés psychologiques. On sait désormais que dans toutes les familles, il y a des problèmes d'enfants et on en parle beaucoup plus facilement.

Avant, c'était un véritable tabou. Lorsque je me suis installé comme pédiatre, il y a 40 ans, les enfants qui suivaient une psychothérapie étaient encore considérés comme des fous. Aujourd'hui, on félicite les parents de confier leur enfant à un thérapeute et d'avoir su demander de l'aide lorsque cela est nécessaire. De toute façon, élever un enfant est un métier impossible. Demander de l'aide est devenu banal et positif. Et pour cela, je dis : merci Dolto. Autre avancée incontestable : la création des Maisons Vertes.

L'incompréhension par E. Antier

FemmesPlus : En quoi le message de Dolto a-t-il été mal compris ?

Edwige Antier : Il y a eu un télescopage entre les idées de Mai 68 et celles de Françoise Dolto. Elle n'a jamais remis en question l'autorité ni le rôle ou la place des parents. Elle n'adhérait pas au fameux slogan "Il est interdit d'interdire".
Elle a plutôt dit ce que je résumerais par : "Tout comprendre, ce n'est pas tout permettre". Ainsi, si on comprend pourquoi un enfant fait un caprice, on peut l'éviter, mais pas le permettre pour autant.

Elle disait aussi qu'il faut parler aux enfants des "vérités qui le concernent" : les questions existentielles dans lesquelles il est impliqué, pour éviter les non-dits, les mensonges et les secrets de famille. Un message mal interprété : aujourd'hui on parle de tout aux enfants et on en arrive presque à devoir se justifier de nos actes d'adultes, ce qui aurait été inconcevable pour Dolto. Par contre, on reste hermétique à lui parler de ce qui nous bouleverse... L'adoption, la conception par FIV, des dons de gamètes restent opaques...

L'incompréhension par A. Naouri

FemmesPlus : En quoi le message de Dolto a-t-il été mal compris ?

Aldo Naouri : Il y a eu des dérives dans la manière dont l'enfant a été utilisé par le marketing et pensé par la société, les parents et les éducateurs. Aujourd'hui, la place que l'enfant occupe est hypertrophiée : il semble fondamental de se mettre à son service.

D'abord, parce que cela arrange bien la société de consommation puisque 53 % des décisions d'achat des familles sont prises par les enfants !

Ensuite, parce que les parents veulent se faire aimer de leurs enfants. C'est ce que j'appelle la victoire du maternel sur le paternel. Auparavant, la mère s'occupait étroitement des enfants et récoltait leur amour. Le père ne cherchait pas à se faire aimer de ses enfants, c'était le contraire. C'était le système de la carotte et du bâton. Je ne dis pas que ce système était parfait, mais il inculquait le sens de l'effort, de l'ambition.

Cette dérive n'est pas la faute de Dolto. C'est celle de notre société de consommation, car elle a tout intérêt à favoriser cette permissivité...

L'influence Dolto par E. Antier

FemmesPlus : Dolto a-t-elle influencé votre pratique de la pédiatrie ?

Edwige Antier : Ses idées ont complètement éclairé et accompagné ma pratique quotidienne. Ce qu'elle disait se vérifie tous les jours. Par contre, je trouve que la politique familiale actuelle fait très peu cas de ses découvertes.

Prenez l'exemple de la Maison Verte, qui est un formidable outil pour lutter contre la dépression maternelle et l'isolement des mamans ou des nounous. Leur développement n'est absolument pas encouragé. Prenez les rythmes scolaires, toujours pas adaptés aux enfants. Prenez les conditions de travail des femmes : rien n'est fait en France pour allonger le congé maternité, pour favoriser le télétravail, pour assouplir les horaires de bureau. Les femmes ont encore du mal à concilier emploi et maternité, d'où beaucoup de stress et de culpabilité.

Il y a un véritablement écartèlement entre les idées de Dolto et le vécu quotidien des enfants et des parents.

L'influence Dolto par A. Naouri

FemmesPlus : Dolto a-t-elle influencé votre pratique de la pédiatrie ?

Aldo Naouri : Elle n'a rien changé dans ma pratique car je me suis situé sur un autre registre. J'ai moi-même suivi une psychanalyse et j'ai utilisé ma formation psychanalytique pour aider les parents. J'ai soigné les parents de leur propre enfance pour qu'ils puissent devenir parents. Mais je ne voyais pas les enfants, contrairement à Dolto qui prenait les enfants en analyse. Dans 98 % des cas, cette approche fonctionnait très bien. Dans 2 % des cas, les enfants avaient eux-mêmes à suivre une thérapie pour des troubles plus profonds de type autisme ou psychose. Je pars du principe que nous ne devenons parents que parce que nous avons quelque chose à régler avec notre propre enfance. Dans 90 % des cas, les problèmes d'enfant sont des problèmes éducationnels...

L'enfant a besoin d'être contenu avec des limites, sinon il souffre d'angoisse. Mais aujourd'hui, on n'ose plus donner ces limites car on a peur de ne plus être aimé de son enfant !

Sources

''Faut-il être plus sévère avec nos enfants ?", Edwige Antier et Aldo Naouri, éd. Mordicus.

"Dolto en héritage", "Dolto en héritage II", d'Edwige Antier, éd. Robert Laffont

"Eduquer ses enfants : l'urgence aujourd'hui", d'Aldo Naouri, éd. Odile Jacob

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