Jalousie maladive : comment la repérer... et s'en sortir !Istock
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Sentiment fréquent, la jalousie peut parfois devenir envahissante, pathologique et nuire à la relation de couple. Dans certains cas, elle peut aussi pousser à commettre l’irréparable : de nombreux crimes passionnels sont ainsi effectués dans un accès de jalousie.

Pour autant, ce sentiment est-il toujours nocif, dans une relation ? À partir de quel degré peut-on parler de jalousie maladive ? Et, surtout, comment s’en sortir ? Nous avons posé ces questions au Dr Sébastien Garnero, psychologue, psychothérapeute et sexologue.

Quand peut-on parler de jalousie "maladive" ?

Avant toute chose, il convient de distinguer la jalousie de l’envie. “Nous pouvons la définir comme une émotion à valence négative, qui résulte bien souvent d’une menace liée à une perte réelle, imaginaire ou symbolique, ou à un potentiel rival”, explique le spécialiste. Elle se réfère donc à quelque chose que l’on a, et que l’on a peur de perdre.

“À l’inverse, l’envie est le désir d’obtenir quelque chose que l’on n’a pas, mais que quelqu’un d’autre possède”. Ces deux sentiments peuvent se combiner chez une même personne, mais pas nécessairement.

La jalousie ordinaire est fondée sur des faits concrets

Ensuite, des distinctions sont à faire, au sein même de la jalousie. Dans le couple, on en perçoit deux grands types : la jalousie que l’on pourrait qualifier de sexuelle et une autre de l’ordre affectif/émotionnel. Elles sont, néanmoins, souvent concomitantes.

La première se réfère à la crainte que son partenaire ait une relation intime en dehors du couple, mais sans sentiment. La seconde, au fait d’entretenir une relation sentimentale affective, complice, mais sans rapport sexuel, avec une autre personne que son conjoint.

“Bien souvent dans les processus de jalousie ordinaire, on perçoit deux grandes formes de souffrance psychique : la crainte de perdre le lien relationnel avec l’objet aimé au profit d’un autre, et la perte de toute estime de soi”, précise le Dr Garnero.

Il précise que le rival est, bien souvent, réellement présent. La crainte de perdre l’autre est donc plus ou moins fondée, s’appuyant sur de réels changements de comportements ou d’attitude dans la relation.

Jalousie maladive : souvent infondée, toujours envahissante

“La jalousie maladive, en revanche, se base la plupart du temps sur de fausses interprétations dans la relation, avec un rival potentiel, mais le plus souvent imaginaire. Elle va d’ailleurs s’étendre à toutes les situations et devenir extrêmement envahissante, rendant la vie impossible pour le partenaire”.

Le doute permanent, la suspicion, la recherche de preuve, les crises de jalousie, la vérification millimétrée de l’emploi du temps, des personnes rencontrées dans tous les espaces de socialisation du partenaire (professionnel, personnel, familial...), vont accaparer le jaloux maladif ; et son conjoint va vivre un enfer au quotidien.

S’il peut y avoir une forme de continuité entre la jalousie ordinaire et la jalousie maladive (autrement dit, l’une peut succéder à l’autre), elles diffèrent néanmoins par leur nature, le degré de sévérité, la fréquence des crises, le caractère envahissant de la forme pathologique et les conséquences, plus ou moins graves, dans la relation amoureuse.

Les différentes phases de la jalousie pathologique

D’après le Dr Garnero, la jalousie pathologique passe par trois phases, dont les caractéristiques se cumulent entre elles, c’est pourquoi elle monte crescendo :

  • la phase de jalousie affective ;
  • la phase de jalousie cognitivo-affective ;
  • la phase de jalousie cognitivo-comportementale-affective.

La première se caractérise par des réactions émotives excessives (fortes crises de jalousie), suscitées par une menace pour la relation plus ou moins imaginaire, à partir d’indices faibles de la réalité.

La seconde s’apparente à une construction progressive, sous forme de trouble interprétatif s’appuyant sur des doutes, des suspicions concernant l’infidélité du partenaire, et prenant rapidement l’allure d’une obsession. À partir d’une interprétation plus ou moins erronée de la réalité, le sujet développe une forme de paranoïa, autour d’un quasi-délire passionnel de jalousie”, détaille le spécialiste. Il donne un sens à tout ce qu’il découvre, cherche la preuve de la culpabilité du partenaire et l’implication de rivaux potentiels.

“Ces deux premières phases vont alors se combiner, et s’associer à des comportements spécifiques de surveillance systématique de l’autre : interrogatoire circonstancié, inspection des affaires et des moindres faits et gestes, fouille du téléphone et de l’ordinateur, espionnage du trajet et de l’emploi du temps, géolocalisation…”

Le délire de jalousie apparaît de façon progressive

La jalousie maladive s’installe rarement au tout début du couple, mais subrepticement. “À la suite de la phase de symbiose du couple (appelée “lune de miel”), des doutes commencent à apparaitre, puis la peur d’être abandonné prend le dessus peu à peu, pour se fixer sur des remarques, des doutes…”, rappelle le psychologue. Cette émotion devient maladive à partir du moment où on entre dans la phase d’obsession, où le jaloux est envahi par ses pensées intrusives de doutes et de suspicion. Dès lors, les phases affectives, cognitives et comportementales vont s’alterner et se combiner, en s’amplifiant.

En psychopathologie, la jalousie maladive est connue sous le nom de “délire de jalousie” ou de “syndrome d’Othello”, en référence au héros de la célèbre pièce de théâtre de Shakespeare.

“Dans cette tragédie, Othello, le personnage principal vit une forme de délire passionnel de jalousie, qui se développe sur un versant paranoïaque autour d’une conviction irrationnelle de la supposée infidélité de Desdémone, sa conjointe”, résume le Dr Garnero. “Cela conduira le héros à assassiner cette dernière, puis à se suicider lui-même”.

La jalousie est-elle toujours nocive ?

Lorsqu’elle n’est pas maladive, un peu de jalousie n’est pas forcément délétère pour le couple, et peut être présente (à petite dose), sans que cela n’entraîne de problème relationnel. Plus encore, “elle peut même s’avérer nécessaire, pour certaines personnes, afin de pimenter leur vie amoureuse”, indique le Dr Garnero.

Une pointe de jalousie permet, en effet, de témoigner son intérêt et son attachement à l’autre. “Et, malgré l’évolution des mœurs dans le discours, peu de partenaires amoureux souhaitent vivre une infidélité dans leur couple, ou partager leur conjoint avec une autre personne”. Une jalousie minimale est donc bien souvent présente et nécessaire, pour s’assurer de l’amour du conjoint, ou le préserver.

Lorsqu’elle est maladive, la jalousie peut être destructrice

Évidemment, point trop n’en faut ! “En règle générale, la jalousie devient maladive lorsque la souffrance est telle qu’elle a de lourdes conséquences psychologiques, à la fois pour la personne qui la ressent et le partenaire qui « en fait les frais »”, détaille le psychothérapeute.

La peur de perdre l’autre devient tellement importante qu’elle va envahir tout l’espace psychique de la personne, au point d’interpréter les moindres faits et gestes de son partenaire comme des indices d’une probable infidélité ou tromperie. “Le jaloux pathologique crée des scénarios imaginaires à partir des détails de la vie quotidienne, ou d’imperceptibles signaux comportementaux (un regard, une parole, un silence, une attitude...)”.

L’exclusivité et la possessivité maladive ne souffre plus la moindre absence, voire motive le contrôle de l’autre. “La suspicion et le doute deviennent permanents, irrépressibles, et s’expriment de plus en plus par des crises”, ajoute l’expert. Le partenaire du jaloux essaye, en vain, de le rassurer, mais rien n’y fait. Et pour cause, sa conviction est inébranlable, sans être pour autant rationnelle. “La souffrance psychique est alors très importante chez les deux conjoints et la relation devient destructrice.

Les symptômes du délire de jalousie

Comme évoqué précédemment, la jalousie maladive s’installe rarement au tout début d’une relation amoureuse, mais de façon progressive et subrepticement. Les doutes et la suspicion qu’elle engendre se manifestent alors qu’il n’y a aucun indice tangible de trahison ou d’infidélité avérée du partenaire, et la plupart du temps à partir d’un fait anodin : une photo, un message mal interprété, un retard, un échange avec un ami… Ils peuvent aussi partir d’une intuition irrationnelle qui devient envahissante, voire délirante : “mon partenaire a une liaison, j’en suis certain, puisqu’il ne me regarde plus de la même façon”.

“Plusieurs symptômes assez typiques vont alors s’enchaîner”, explique le Dr Garnero. À savoir :

  • La suspicion omniprésente : le jaloux s’imagine la trahison, l’infidélité, l’adultère et interprète tout (mots, attitudes, regards) comme un indice allant dans ce sens.
  • La vérification systématique : affaires, emploi du temps, relevé bancaire, téléphone, historique Internet… tout est passé au crible, dans l’objectif de trouver des “preuves”.
  • L’interrogatoire quotidien : la moindre attitude est scrutée, tout déplacement fait l’objet d’un questionnement complet, la tension est alors maximum entre les protagonistes.
  • L’isolement et la déconnexion : le jaloux est obsédé par sa thématique de la jalousie et de la tromperie, ce qui retentit sur lui-même et sur le couple, qui s’isole dans une défiance mutuelle.
  • La comparaison avec les autres et la perte d’estime de soi : le jaloux maladif présente, malgré les apparences une faible estime de lui. C’est l’une des raisons qui l’amène à un mécanisme de comparaison sociale via des rivaux potentiels ; de même les angoisses d’abandon sont souvent au premier plan.
  • La possession et l’exclusivité totale/relationnelle : par peur de perdre l’amour de l’autre, ou sa place de conjoint, le jaloux est prêt à tout pour conserver celui ou celle qu’il aime ; quitte à isoler l’objet aimé de tout contact.
  • L’admiration et l’idéalisation de l’être aimé, puis la dévalorisation : l’objet d’amour est mis sur un piédestal puis, à force de doutes finit par faire l’objet d’un hypercontrôle, de remarques désobligeantes et dévalorisantes. Il finit par être un objet ambivalent d’amour/haine qui peut devenir dangereux à terme.
  • Les phases de crises de jalousie itératives : le doute, l’obsession envahissante, la vérification, le contrôle, la confrontation, les crises violentes se succèdent, ponctuées par des phases d’accalmie et de réconciliation partielle. La moindre frustration, le moindre questionnement aboutit à la reprise du cycle.

Jalousie maladive : comment s’en sortir ?

“Le patient qui souffre de jalousie maladive ressent un profond mal-être qui témoigne d’une carence affective, d’une problématique d’estime et de confiance en soi très importante et/ou d’une dépendance affective”, nous explique le psychologue Sébastien Garnero.

Ces assises narcissiques sont souvent liées à des problématiques d’attachement ou d’identité qui remontent à l’enfance ou à l’adolescence. Elles peuvent résulter de secrets de famille, d’abus ou de maltraitance, par exemple. Dans certains cas, c’est une expérience de discontinuité dans ses investissements affectifs qui façonnent le caractère du jaloux : trahisons, infidélités, humiliations, abandon ou échecs dans son parcours personnel.

Un travail de psychothérapie est indispensable

“Bien entendu, au vu d’un tel tableau clinique et des causes potentielles, un véritable travail individuel de psychothérapie s’impose”, indique le spécialiste. Ce travail est essentiel pour le patient qui souffre de délire de jalousie, car ce type de troubles ne guérit pas spontanément. Il doit être effectué avec un professionnel spécialisé en psychopathologie.

Accepter de soigner son délire de jalousie, c’est aussi préserver son partenaire qui, à terme, risque de n’être plus que l’ombre de lui-même, et de “présenter des troubles dépressifs, anxieux, psychosomatiques”, liés à cette relation toxique.

Une psychothérapie de couple pourra également être proposée en complément, pour soutenir les deux conjoints et permettre de repérer les fonctionnements altérés sur un autre plan.

Je suis en couple avec un(e) jaloux(se) pathologique : que faire ?

À l’échelle personnelle, il convient d’adapter sa communication et ses interactions avec un jaloux maladif, pour éviter de renforcer son schéma de pensée, mais aussi pour préserver sa propre santé mentale.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne faut pas chercher à rassurer l’autre en permanence, ni à se justifier ou à contrer chacune de ses accusations. “Cela est contre-productif et alimente encore plus le délire”, explique le thérapeute. En revanche, il faut lui apprendre à gérer son insécurité affective et son manque de confiance, en l’orientant vers une psychothérapie.

Le Dr Garnero invite aussi à consolider les “personnes ressources” (famille, amis, collègues, professionnels de santé…), qui peuvent être un soutien non négligeable. Mais aussi à développer les marques de confiance envers l’autre, et en soi-même, pour ne pas se laisser démoraliser. En revanche, évitez les systèmes de comparaison sociales avec vos amis ou d’autres couples.

Pour s’en sortir, il faut parfois partir

Prenez du temps pour vous, vivez davantage pour vous plutôt qu’à travers l’autre. Développez des centres d’intérêts diversifiés et conservez des passions et des activités en dehors du couple. “Surtout, il ne faut pas s’isoler, afin d’éviter l’effet “huis-clos” dramatique, fréquent dans ce type de relation”, précise le psychologue.

Enfin, si la relation devient une tyrannie domestique quotidienne, malgré tous vos efforts ; si elle devient insécurisante, toxique ou, pire encore, dangereuse, il faut aussi savoir partir pour vous protéger. S’extraire rapidement de la relation, sans état d’âme, est parfois la seule solution pour s’en sortir. “N’hésitez pas à faire appel à des personnes ressources et de confiance si nécessaire”, conclut l’expert.

Sources

Merci au Dr Sébastien Garnero, psychologue, psychothérapeute et sexologue à Paris. 

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